Avec « Les instruments de l’astronomie ancienne », Philippe Dutarte offre aux lecteurs une occasion rare de s’informer, de se cultiver, d’apprendre et d’entreprendre. En effet, conçu et écrit par un auteur à la fois enthousiaste, expérimenté et maîtrisant son sujet, ce livre se lit à plusieurs niveaux et s’utilise de plusieurs manières. C’est d’abord une promenade pleine d’imprévus, d’étonnements et de plaisir dans les dédales de l’histoire de certains instruments qui ont constitué les fleurons de la technologie astronomique à différentes époques et dans différentes civilisations. C’est aussi une présentation rigoureuse des principes et de l’utilisation de ces instruments, tous plus étonnants les uns que les autres, et ayant chacun une spécificité liée à son histoire ou à l’environnement qui l’a vu naître. C’est enfin une initiation, nourrie par une expérience collective d’enseignement théorique et par une pratique originale en atelier, qui part d’un concept scientifique, souvent d’une grande simplicité, pour le réaliser dans un instrument complexe, à la fois utile et beau.
Le livre débute par une présentation claire et accessible, de la vision du monde qui a régné sur les esprits, non seulement dans l’antiquité et tout au long de la phase arabe de l’astronomie, mais également en Europe jusqu’au XVIIe siècle. Et, pour que cette présentation garde sa dimension historique, une figure éminente de l’astronomie du XIIIe siècle est sollicitée et son enseignement est rapporté. Ainsi, et dès le premier chapitre, est affirmée cette démarche heureuse qui consiste à ne pas détacher les concepts et les instruments exposés de leurs contextes et des préoccupations qui ont caractérisé leurs époques respectives. Puis sont présentés les différents instruments choisis pour illustrer le savoir-faire ancien. Le livre s’achève sur un chapitre d’une grande utilité puisqu’il fournit les adresses, par pays, ainsi que les sites web, de nombreux musées d’Europe et d’Amérique renfermant, comme le titre l’indique, des « trésors de l’astronomie ancienne ». D’autres musées non européens, publics ou privés, possèdent aussi des instruments rares et très anciens, mais ils sont moins accessibles que ceux qui sont répertoriés.
Les instruments qui ont été choisis pour illustrer les aspects technologiques de l’astronomie ancienne, sont autant de jalons dans l’histoire des outils scientifiques. On y trouvera la description de la sphère armillaire, des anneaux astronomiques (de Gemma Frisius, d’Oronce Fine et William Oughtred), des astrolabes (planisphériques, nautiques, universels), des quadrants (astrolabiques, universels, de sinus, …), du nocturlabe et de la navicula. L’origine de chacun d’eux fait l’objet d’une investigation bien documentée puisant dans des articles de recherche récents. Ce qui permet, parfois, de corriger des informations erronées qui continuent de circuler, de reculer la date de l’invention d’un concept et d’attribuer la première réalisation d’un instrument à son véritable créateur.
Le plus emblématique de ces instruments est, incontestablement, l’astrolabe qui occupe, avec ses différentes variantes, une grande partie de l’ouvrage. C’est également dans sa présentation que se révèle le mieux la démarche générale du livre. Il y a d’abord la description détaillée de l’instrument, suivie de l’exposé du principe géométrique qui le sous-tend et des différentes utilisations qu’il permet (mesure du temps, orientation, mesure des distances, mesures astrologiques). Tous ces aspects sont abondamment illustrés par des documents anciens et par des schémas réalisés par l’auteur. Puis est exposée la longue histoire de l’astrolabe à travers ses différentes phases sans qu’aucune ne soit oubliée ou minimisée. D’abord la période grecque au cours de laquelle le concept est inventé et développé. Elle est suivie par la période arabe (IXe – XIIe siècles) qui voit la réalisation de l’instrument, sa diffusion à grande échelle et son perfectionnement en vue de le rendre à la fois plus performant et plus maniable. La troisième et dernière phase est européenne. Elle commence relativement tôt, en tout cas bien avant les traductions latines et hébraïques du savoir astronomique gréco-arabe. C’est d’abord une circulation rapide de l’instrument dans les milieux spécialisés puis une diffusion large et un succès étonnant dans différents milieux.
Il faut enfin signaler qu’en plus de sa dimension à la fois culturelle et historique, l’ouvrage est un véritable outil pédagogique qui suggère aux enseignants de physique, de mathématique ou de technologie, un certain nombre de thèmes d’ateliers. Il est d’ailleurs utile de préciser que le contenu de ce livre est, en partie, le produit d’une expérience originale, dont j’ai suivi et accompagné modestement les premiers pas. Elle a consisté à engager, dans le cadre de leur cursus de formation, des classes du lycée Edouard Branly de Créteil dans un passionnant projet de conception et de fabrication d’instruments astronomiques anciens. Les élèves de ces classes, encadrés et guidés par des professeurs à la fois talentueux et passionnés, ont ainsi appris à mettre véritablement « la main à la pâte » autour de thèmes originaux. De plus, tout en menant à bien leurs projets, ils ont eu le privilège d’entrer dans le monde de la technologie ancienne et, à travers certains de ses aspects, ils ont découvert les destins ordinaires, singuliers ou fabuleux, d’astronomes et d’artisans dont la passion a été de comprendre les phénomènes du ciel et de les faire comprendre aux autres.
C’est aussi ce que propose Philippe Dutarte avec ce livre très riche, fruit de sa propre curiosité, de sa longue expérience d’enseignant et de ses patientes investigations dans les sources anciennes.
Ahmed Djebbar
Professeur d’histoire des mathématiques
Université des sciences et des technologies de Lille