L’astrolabe : un héritage commun
Contexte historique et culturel de l’astrolabe

 

Un voyage à travers le temps et l’espace

L’astrolabe est sans doute l’instrument scientifique ayant connu la plus grande longévité, de la fin de l’Antiquité, au début des temps modernes.

 


 


Apparaissant aux alentours du quatrième siècle de notre ère, à Alexandrie, l’astrolabe est la matérialisation du meilleur de la géométrie grecque dans la représentation du ciel et la modélisation de ses mouvements. Introduit en pays d’islam au huitième siècle, l’astrolabe y connaîtra des améliorations très importantes. Dès le dixième siècle, les Occidentaux sont informés des savoirs arabes, essentiellement par l’Espagne. Les mystères de l’astrolabe et les connaissances qu’il semble contenir constitueront alors une motivation importante pour les Occidentaux. Durant la Renaissance, la production d’astrolabe devient de plus en plus sophistiquée et atteint son apogée, avant de décliner.

 

La naissance grecque de l’astrolabe

Le principe de l’astrolabe est fondé sur la projection stéréographique de la sphère céleste sur le plan de l’équateur. Les fondements de ce type de projection s’appuient sur les travaux d’Apollonius de Perge, géomètre et astronome du troisième siècle avant notre ère, mais ce fut Hipparque qui, vers 150 avant notre ère, l’appliqua à l’astronomie.

On attribue parfois l’invention de l’astrolabe à Ptolémée, vers 150 de notre ère, mais ce qu’il nommait « astrolabon organon » dans son « Almageste » correspond à un type de sphère armillaire et la carte stellaire rotative de son « Planisphère », bien qu’obtenue par projection stéréographique, est encore très éloignée de l’astrolabe.

Les premières traces d’un traité de l’astrolabe commencent avec celui de Théon d’Alexandrie, au quatrième siècle de notre ère. Son ouvrage, qui ne nous est pas parvenu, est mentionné dans des sources arabes et byzantines. La plus ancienne description de l’astrolabe planisphérique qui nous soit parvenue est celle de Jean Philopon, qui vécu à Alexandrie vers 550. Son « Traité de l’astrolabe » montre qu’au sixième siècle l’instrument était fixé et ses principaux usages, du moins astronomiques, définis.

Le développement par les savants arabes

Il n’y avait rien, dans le traité de Philopon, en ce qui concerne les usages possibles de l’astrolabe pour s’orienter ou pour la topographie. Pas plus que dans le traité suivant, de l’évêque Sévère Sebokht au septième siècle. C’est avec son introduction dans le monde arabe, que l’astrolabe trouva un terrain propice à son développement, dans les domaines religieux et politiques. La religion musulmane faisait sans doute de cette région du monde au huitième siècle, la seule a avoir un besoin aussi prononcé d’une mesure précise du temps et de l’espace. On utilisait l’astronomie pour déterminer l’instant des prières, la direction de La Mecque ou pour établir le calendrier. De plus, les premiers califes financèrent les recherches, la création d’instruments ou l’établissement d’observatoires, qui permettraient une meilleure gestion des vastes espaces de leur empire (cartographie et navigation) mais aussi de déchiffrer les messages célestes. Les faiblesses des hommes de pouvoir pour l’astrologie favorisèrent ainsi la science.

 


 


C’est dans ces conditions qu’au neuvième siècle, le grand savant Al-Khwarizmi, créateur de l’algèbre en tant que discipline mathématique, apporta trois améliorations essentielles à l’astrolabe : les cercles d’azimut sur le tympan (pour trouver les directions), le carré des ombres au dos de l’instrument (pour la mesure de distances inaccessibles en topographie) et le quadrant des sinus pour obtenir certains calculs trigonométriques.

En plus de la mesure du temps ou de questions astronomiques ou astrologiques, l’astrolabe devient alors un instrument permettant de s’orienter dans l’espace, facilitant la navigation et la cartographie, d’effectuer des mesures topographiques, mais aussi un instrument de calcul mécanique pour les coordonnées astronomiques ou les lignes trigonométriques.

Après Al-Khwarizmi, Al-Biruni (973-1050) ajouta au tympan de l’astrolabe la ligne du crépuscule, sous l’horizon, et des lignes correspondant aux heures des prières musulmanes.

Cependant, la principale invention suivant les améliorations d’Al-Khwarizmi fut celle d’un astrolabe « universel ». En effet, les lignes tracées sur les tympans d’un astrolabe planisphérique dépendent de la latitude du lieu où celui-ci sera utilisé. Ainsi, il était nécessaire lors de grands déplacements dans la direction nord-sud de changer de tympan avant de pouvoir utiliser l’astrolabe.

La recherche d’un instrument fonctionnant à toutes les latitudes conduisit au onzième siècle à son invention à Tolède, alors en Espagne musulmane (al-Andalus), sous deux formes, par Ibn Khalaf et Ibn Al-Zarqali (1029-1087). Cependant cet astrolabe universel ne remplacera pas le traditionnel astrolabe planisphérique. S’il était bien adapté pour résoudre certains problèmes, comme celui des changements de coordonnées astronomiques, il correspond moins bien au ciel tel qu’il apparaît à l’observateur et ne couvre pas les mêmes utilisations.

Le transfert de connaissances par l’astrolabe

Le transfert de connaissances, du monde arabe à l’Occident, sur l’astrolabe (et par celui-ci au-delà en astronomie et en mathématiques) s’effectua dans les monastères de Catalogne, à Ripoll et dans ses environs.

Un des premiers traducteurs de l’arabe en latin fut Llobet de Barcelone qui écrivit les « Astrolabii Sententiae », le premier texte latin décrivant l’astrolabe. Un des principaux personnages dans la transmission des connaissances arabes sur l’astrolabe fut le moine Gerbert d’Aurillac (945-1003), qui en l’an mille sera le pape Sylvestre II. Gerbert vint à Vic, un monastère à 40 kilomètres de Ripoll, pour étudier les « Astrolabii Sententiae » et, après son retour à Reims, continua à correspondre avec Llobet de Barcelone.

Au douzième siècle, Raymond de Marseille écrivit un traité original sur l’utilisation de l’astrolabe et donna une traduction, adaptée au méridien de Marseille, d’une partie des tables « tolédanes » d’Al-Zarqali. Le traité de Raymond de Marseille est ainsi le plus ancien traité de l’astrolabe occidental qui ne soit pas une simple adaptation de l’arabe.

 


 


Si l’on se fonde sur le nombre d’instruments nous étant parvenus, la production d’astrolabes atteignit son apogée au seizième siècle. Vers 1530, la production d’astrolabes commença à se développer aux Pays-Bas. Louvain devint un centre important à partir de l’atelier fondé par Gemma Frisius (1508-1555). Les astrolabes de Gemma Frisius, certains finement gravés par Gérard Mercator, atteignirent alors des sommets d’art et de précision, qui ne seront guère dépassés.

Plus tard, le neveu de Gemma, Gualterus Arsenius, poursuivit la tradition d’exactitude et beauté artistique. Un autre fabriquant tout à fait remarquable, travaillant dans la tradition de Louvain, fut Erasme Habermel, qui créa des instruments pour Rudolphe II à Prague.

C’est aux alentours de 1480, sous l’impulsion de Jean II (1481-1496), avec sa « Junta dos Mathematicos », que les Portugais développèrent la navigation astronomique lors de l’exploration des côtes d’Afrique. En 1471, les marins portugais franchirent l’équateur, perdant ainsi de vue l’étoile polaire. L’astrolabe leur permit alors de mesurer la latitude à l’aide du Soleil à midi. Les astrolabes nautiques furent évidés pour offrir moins de résistance au vent et fabriqués en bronze, pesant deux ou trois kilos. Les tympans et l’araignée furent supprimés, limitant ainsi l’usage de l’astrolabe à la seule fonction de mesure de l’angle d’altitude du Soleil au dessus de l’horizon. Pour éviter de se brûler les yeux, le pilote tentait de « peser » le Soleil au lieu de le viser directement.

 


 


Le déclin... et le futur

A partir du seizième siècle, les instruments commencèrent à se spécialiser, gagnant en précision. Au dix-septième siècle l’astrolabe commença à être dépassé et progressivement remplacé, pour ses différents usages, par les horloges de précision et des instruments tels que le sextant, le théodolite optique et d’autres instruments de calcul.

Ce qui demeure c’est la beauté des instruments anciens et les vastes opportunités pédagogiques qu’ils présentent aujourd’hui encore.

L’astrolabe était supposé doué de grands pouvoirs. En révélant les mystères du ciel et des étoiles, il devait prévoir l’avenir et guérir les malades. En fait l’astrolabe a un pouvoir réel : celui de nous enseigner l’histoire de la science et de ceux qui l’ont construite, et aussi celui de nous faire comprendre, en le manipulant, certains principes d’astronomie et de mathématiques.

 


 


                     Astrolabes au National Maritime Museum de Greenwich – Angleterre.

 

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