La Sphère de Jean de Sacrobosco
CHAPITRE I

 

 

DE LA SPHERE, DU CENTRE

d’icelle, de l’axe ou Essieu des Pôles,

du nombre des Sphères, & quelle est la forme du monde.

Chapitre I.

 

Donc la Sphère est ainsi décrite par Euclide. La Sphère est une marque du passage de la circonférence d’un demi-cercle, laquelle (le diamètre demeurant fixe & immobile) est menée & conduite tout à l’entour, jusqu’à ce qu’elle est revenue à son premier lieu[1]. C’est à dire la Sphère est un tel rond & solide, qu’est celui qui est décrit de l’arc du demi-cercle tourné en rond selon l’entière révolution du cercle. La Sphère aussi par Théodose[2] est ainsi décrite : La Sphère est une certaine chose solide contenue d’une superficie, au milieu de laquelle est un point, duquel toutes les lignes tirées jusqu’à la circonférence sont égales ; & ce point s’appelle le Centre de la Sphère ; mais la ligne droite qui passe par ledit centre de la Sphère approchant & joignant ses extrémités à la circonférence de l’une part et de l’autre, à l’entour de laquelle la Sphère tourne, & meut, s’appelle l’essieu de la Sphère ; mais les deux points qui terminent ledit essieu sont nommés les pôles de la Sphère.

 

ANNOTATION[3].

 

Cette définition de la Sphère est en l’Onzième livre des éléments d’Euclide.

La Sphère est quand ne bougeant de lieu le diamètre du demi-cercle, et icelui demi-cercle étant contourné, revient derechef au lieu dont cette figure a commencé à être décrite. L’intelligence de la présente définition peut être manifestée et démontrée[4] par les peintures ci-dessous mises. Mais quand à celle définition dont l’auteur fait mention, elle avait été corrompue & dépravée par les interprètes de l’Euclide écrit en Grec. Car si la ligne coulant et glissant à côté décrit seulement une superficie, la circonférence d’un demi-cercle contournée nous décrira la superficie du globe seulement, & non le globe massif & solide.

 


 


Division de la Sphère du monde.

Mais la Sphère du monde est divisée en deux manières, selon la substance, & selon l’accident. Selon la substance en neuf Sphères. 1. C’est à savoir, en la neuvième Sphère, qui s’appelle premier mouvement ou mobile ; en la Sphère des étoiles fixes, qui est appelée firmament ; & es sept Sphères des sept planètes, desquelles Sphères aucunes [= certaines] sont plus grandes, les autres moindres, selon qu’elles sont plus prochaines, ou éloignées du firmament. Dont vient qu’entre ces Sphères, la Sphère de Saturne est la plus grande, & la Sphère de la Lune la moindre comme appert et est contenu en la figure suivante.

 

ANNOTATION.

 

1. En neuf Sphères, les Astrologues qui de plus fraîche mémoire ont écrit, ils ont ajouté la dixième Sphère pour raison du troisième mouvement qu’ils ont connu et entendu en la huitième Sphère, lequel ils ont appelé mouvement de Trépidation[5] ou tremblement ; & le mouvement de l’approchement & reculement ; duquel Purbachius parle en ses Théoriques.

 


 


FIGURE DEMONTRANT AU

doigt le nombre, & l’ordre des Sphères célestes,

& déclarant la division du monde

selon la substance.

 

De la division selon l’accident.

Selon l’accident la Sphère est divisée en droite & oblique. Ceux qui habitent sous l’équinoxial (si quelqu’un peut demeurer en ce lieu là[6]) sont estimés avoir la sphère droite, & s’appelle droite, parce que l’un pôle n’est pas plus élevé sur l’horizon que l’autre ; ou pour ce que leur horizon coupe ou entrecroise l’équinoxial, & par icelui aussi ledit horizon est entrecoupé à angles droits sphériques. Et ceux qui habitent deçà ou delà l’équinoxial, ont la sphère oblique ; pour ce que l’un des Pôles leur est élevé toujours sur l’horizon, & l’autre leur est ravalé & déprimé sous le même horizon ; ou pour ce que leur horizon artificiel entrecoupe, & divise l’équinoxial, & du même aussi il est divisé à angles inégaux et obliques.

 

ANNOTATION.

 

Qu’est ce qu’en ce lieu ci est appelé l’horizon artificiel, tandis que les interprètes en disputent et en ont contention entre eux, tu entendras que c’est celui qui au second chapitre sera dit et nommé oblique et tranchant d’un côté.

 


 


Des parties du monde ; & quelles sont ces parties.

L’Universelle machine du monde est divisée en deux parties ; c’est à savoir en la région céleste, & en la région élémentaire[7]. L’élémentaire étant continuellement ouverte & sujette à l’altération se divise en quatre parties ; car la terre comme centre du monde, elle est située au milieu dudit monde, à l’entour d’elle est l’eau ; à l’entour de l’eau, l’air ; à l’entour de l’air, le feu pur et clair, lequel touche le ciel de la Lune, comme dit Aristote au livre des Météores ; car ainsi l’a constituée & disposée le glorieux, tout puissant & très haut Dieu. Et  ces quatre parties s’appellent Eléments, lesquels d’eux même tour à tour s’altèrent, corrompent & se régénèrent. Mais ces éléments sont corps simples, lesquels ne se peuvent diviser en parties ayant diverses formes ; de la miction desquelles se font diverses espèces des choses engendrées et produites. Or chacun des trois environne tout à l’entour de la terre, sinon d’autant que la fixité de la terre résiste à l’humeur de l’eau, pour la conservation & décence de la vie des animaux ; aussi tous les éléments sont mobiles, excepté la terre, laquelle comme étant le centre du monde, par sa pesanteur (fuyant de tous côtés également le grand mouvement des extrémités) tient & possède le milieu de la Sphère ronde.

 

De la région céleste.

A l’entour de la région élémentaire est la région céleste, claire, & luisante ; laquelle par son essence immuable est exempte de tout changement, & ne reçoit aucune variété[8] ; néanmoins tourne circulairement avec mouvement continuel ; & si est appelée des Philosophes quinte essence, 1 à laquelle appartiennent neuf Sphères, comme ci dessus avons dit c’est à savoir de la Lune, de Mercure, de Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, des Etoiles fixes, & du dernier Ciel. Et chacune supérieure de celle-ci environne circulairement & sphériquement l’intérieure, & une chacune d’icelles a deux mouvements ; l’un est du ciel dernier sur les deux bouts de l’essieu, c’est à savoir les pôles arctique & antarctique d’Orient en Occident, retournant derechef à orient ; & l’équinoxial divise ce mouvement par le milieu. Il y a encore un autre mouvement des Sphères inférieures opposite à celui-ci par une obliquité sur ses pôles distants des premiers qui sont les pôles du monde, vingt trois degrés et trente trois minutes. 2. Mais le premier mouvement par son impétuosité attire & ravit toutes les autres Sphères, & en une nuit & un jour les fait mouvoir avec soi une fois à l’entour de la terre ; combien qu’elles fassent leur effort au contraire, comme la sphère huitième qui fait en cent ans un degré[9]. Et ce second mouvement est divisé du zodiaque par le milieu, sous lequel chacune des sept planètes a sa propre sphère, en laquelle chacune est portée par son propre mouvement contre le mouvement du dernier ciel, & si par le tour qu’ils font mesurent toute la rotondité dudit ciel en divers espaces de temps, comme Saturne en trente ans, Jupiter en douze, Mars en deux, le Soleil en trois cent soixante cinq jours et presque six heures, Vénus & Mercure vont semblablement quasi comme le Soleil ; mais la Lune en xxvii jours & huit heures.

 


 


ANNOTATION.

 

1. Est appelée des Philosophes quinte essence, comme Aristote en son premier livre du Ciel, qui la nomme […] c’est à dire essence mais au livre du monde (lequel aucuns [=certains] nient être du même Aristote) il dit […] qui signifie élément tout autre & différent de ces quatre, le feu, l’air, l’eau, et la terre.

 

ANNOTATION.

2. Des premiers c’est à savoir des pôles du monde, c’est à dire l’Arctique & Antarctique pour 23 minutes [il faut sans doute lire 33 minutes], en ce lieu ci l’exemplaire de Faber Stapulense a seulement 51 minutes ; & ce par aventure à cause que ce nombre est écrit au second Chapitre, où il traite des Colures & des plus petits cercles. Mais pour autant que quasi tout ceci est pris de Ptolémée, et que les Astrologues qui nouvellement ont écrit, ils ont observé choses diverses[10], tu liras cela dans les Théoriques de Purbache.

 

Que le ciel tourne circulairement[11], & est

de figure Sphérique.

Que le Ciel tourne d’Orient en Occident, il appert par les étoiles qui se lèvent en Orient, lesquelles montent peu à peu, venant successivement l’une après l’autre, jusqu’à ce que viennent au milieu du ciel, étant toujours en même propinquité [proximité ? ] & distance entre elles, & toujours en tel état s’en vont continûment, & par une conformité en Occident. Il y a encore un autre signe & argument, pris des étoiles qui sont bien près du pôle arctique (lesquelles ne se couchent jamais en notre région, mais nous les voyons toujours) se meuvent continuellement d’une même forme, & manière, & décrivant leurs cercles autour du pôle, ayant toujours distance égale. Dont par ces deux mouvements continuels tant des étoiles qui vont en Occident, que des autres qui n’y vont point ; il est clair et manifeste que le firmament fait son mouvement d’Orient en Occident.

 


 


De la rondeur du Ciel.

Pour trouver que le Ciel soit rond, il y a trois raisons, similitude, commodité, & nécessité[12]. Similitude, pour ce que le monde sensible est fait à la similitude du monde archétype I. & originel, auquel n’y a commencement ni fin. Par quoi à la ressemblance de celui-ci, le monde sensible ayant été fait, il a forme ronde, à laquelle ne se peut assigner commencement ni fin. Commodité, pour ce que de tous les corps Isopérimètres, 2. la Sphère est la plus grande & de toutes les formes, la plus capable est la ronde ; donc puisqu’il est rond, & encore le plus grand, s’ensuit qu’est le plus capable.

 


 


De là vient que vu que le monde contient toutes choses, nous disons que telle forme lui a été commode & convenable. Nécessité, car si le monde eût été d’autre forme que ronde, c’est à savoir de forme triangulaire, carrée ou de plusieurs côtés, il s’ensuivait deux choses impossibles :

 


 


c’est à savoir, qu’il y aurait quelque lieu vide[13], & quelque corps sans lieu ; desquelles choses l’une et l’autre sont fausses ; comme appert aux angles élevés et tournés alentour. Davantage comme dit Alfragan[14], si le ciel était de forme plate et non ronde, quelque partie d’icelui nous serait plus prochaine que l’autre, c’est à savoir, celle qui serait sur notre tête. 3. Donc l’étoile qui serait là perpendiculairement sur notre tête, nous serait plus prochaine que celle qui est en Orient ou Occident. Or les choses qui sont plus près apparaissent plus grandes. Par quoi si le Soleil ou autre étoile était au milieu du ciel devrait apparaître plus grand que s’il était en Orient ou en Occident, de laquelle chose nous voyons le contraire ; car le Soleil ou autre étoile étant en Orient ou en Occident appert plus grand que s’il était au milieu du ciel ; mais la vérité de la chose n’est pas ainsi. La cause de cette apparence[15] est, qu’au temps d’hiver ou pluvieux, certaines vapeurs montent entre notre regard & le Soleil ou autre étoile. Et comme ainsi soit, que ces vapeurs soient un corps 4. diaphane ou transparent, elles désagrègent & séparent nos rayons visuels, en sorte que ne comprennent la chose en sa naturelle & vraie quantité, comme appert d’un denier jeté au fond d’une eau claire, lequel à cause de la désagrégation des rayons apparaît de plus grande quantité qu'il n'est.

 

ANNOTATION.

1. Archétypos substantif est la première forme, l’idée, le patron que nous devons imiter. En ce lieu il signifie cette forme du monde de laquelle Dieu par sa prescience a conçu en son entendement qu’il ferait ce monde, et cette cogitation de Dieu, est éternelle, comme Dieu même est éternel. Et d’autant que Dieu est sans commencement & fin, il est à présupposer que créant les cieux, il leur a donné forme ronde qui est figure en laquelle on ne peut connaître le commencement ni la fin[16].

 

ANNOTATION.

2. Iso égale, peri à l’entour, métron mesure, perimetros la ligne environnant est le circuit ou le tour de quelque chose. Si donc il était deux îles, par manière de dire, ayant chacune vingt stades de circuit ; l’une desquelles soit triangulaire et l’autre ronde tellement qu’elle aie la forme d’un cercle, de toutes ces deux isopérimètres, c’est à dire qui se peuvent mesurer [égales] à l’entour, la plus grande & celle qui le plus contiendra ce sera la ronde. Tout ainsi en adviendra si d’une même terre gluante comme terre de potier tu fais un vaisseau rond puis de rond carré. Théon nous démontre ceci en Ptolémée au premier livre de sa grande construction[17].

 

ANNOTATION.

3. Ton Alfragan en la seconde différence se joue, car les cieux contournés en rond, un chacun point toujours également distant de centre, changerait de lieu & mouvrait son ordre. Ceci a annoté Pierre Nonius.

 

ANNOTATION.

4. Diaphane, je ne sais si Rodiginus l’a lu en quelques auteurs approuvé ; quant est de moi j’ai mémoire d’avoir seulement lu diaphanes. Car diaphanes en Grec sont l’air, l’eau, le verre, le cristal, les vapeurs et autres telles choses semblables, tellement rare & détenue substance qu’on peut voir tout au travers sans empêchement. J’estime que les Latins ont dit Pellucidum, comme le crible et la lanterne punique et un agneau tellement maigre, que vivant et se tenant au Soleil, on lui pouvait voir toutes les entrailles de son corps. Plaute en sa Ruden & Aulul. a dit Pellucere. Mais pourquoi les effigies & figures sont vues dans l’eau plus grandes, qu’elles ne sont véritablement, Macrobe le dispute en son septième livre des Saturnales.

 

La déclaration du précédent argument, se

montre par les figures suivantes.

 


 


La rondeur de la terre nous est manifeste ainsi que s’ensuit[18]. Les signes du zodiaque, & autres étoiles ne se lèvent et couchent d’une même façon et manière à tous les hommes qui habitent la terre en divers lieux ; ainsi se lèvent & couchent premièrement à ceux qui sont plus prochain d’Orient. Et que à quelques uns elles se lèvent & couchent plus tôt, ou plus tard, l’enflure & tumeur de la terre en est cause ; comme il appert très bien par les choses qui se font au ciel ; car une même éclipse de Lune qui s’apparaît à nous en la première heure de la nuit apparaît aux Orientaux environ la troisième heure d’icelle même nuit.

 


 


 


Il est donc évident qu’ils ont eu plus tôt la nuit, & que le Soleil couche plus tôt à eux qu’à nous. Tout cela vient seulement de la tumeur de la terre. Considère la précédente figure pour mieux entendre ce qui a été dit ci-dessus[19].

Que la terre aussi soit ronde de Septentrion vers Midi, & de midi venant à Septentrion, on le connaît ainsi. Aux hommes qui sont vers Septentrion certaines étoiles apparaissent toujours, c’est à savoir celles qui sont plus prochaines du pôle arctique, & les autres au contraire leur sont toujours cachées, c’est à savoir celles qui sont près du pôle antarctique. Si donc quelqu’un cheminait de septentrion vers midi, il pourrait tant aller que les étoiles premières qui lui étaient apparentes toujours, lui seraient cachées[20] ; & tant plus qu’ils s’approcherait du Midi, d’autant plus lesdites étoiles lui seraient rabaissées sous l’horizon ; & icelui même homme commencerait à voir les étoiles qui auparavant lui étaient cachées. Le contraire pourrait advenir à quelqu’un qui irait du Midi à Septentrion. La cause de ceci est seulement la tumeur de la terre. Davantage si la terre était plane d’Orient en Occident, aussi tôt se lèveraient les étoiles aux Occidentaux comme aux Orientaux, ce qu’appert être faux. En outre si la terre était plane de Septentrion à midi , & de Midi à Septentrion, les étoiles apparentes à celui qui serait en Septentrion, lui seraient toujours apparentes vers quelque lieu qu’il cheminât, ou en quelque lieu qu’il fût ; ce qu’on voit être faux. Encore qu’il semble à la vue des hommes que la terre est plane ; mais cela advient pour raison de sa grande quantité.

 

Instrument par lequel est prouvée la rondeur de la terre selon la latitude, & est déclaré facilement tout ce que l’auteur traite au troisième Chapitre des jours artificiels.

 


 


 


Que l’eau soit ronde.

Que l’eau ait tumeur s’approchant d’une rotondité il appert ainsi ; qu’on mette une marque au bord de la mer, & que le navire partant du port s’éloigne ; tant que l’œil d’icelui qui est au pied du mât ne puisse voir ladite marque, & le navire étant arrêté, l’œil d’icelui qui sera au sommet du mât verra très bien icelle marque ; toutefois l’œil de celui qui est près du pied du mât devrait voir mieux la marque, que celui qui est au sommet du mât, comme appert par les lignes tirées desdits lieux à la marque. La cause de ceci n’est autre, sinon que la rondeur et tumeur de l’eau. Soient ôtés tous autres empêchements, comme brouillards, nuées, & les vapeurs qui montent. Davantage comme ainsi soit que l’eau est un corps 1. Homogène, duquel les parties ont une même raison & appellation avec le tout, s’ensuit que tout le corps sera de la même espèce avec ses parties ; or les parties de l’eau (comme il advient es gouttelettes de la rosée du ciel, qui sont sur les feuilles des arbres & herbes) appètent naturellement la forme ronde ; par quoi tout le corps aussi, duquel elles sont les parties.

 

ANNOTATION.

1. Homogène, de même genre & nature, pris du Grec. Mais la terre et l’eau font et constituent un globe[21], et quelquefois on a douté laquelle de ces parties était la plus grande. Aucuns ont pensé que c’était l’eau ; mais ceux qui naguère sont allés à l’entour de la terre, pour la voir de tous côtés, & l’ont décrite, s’ils ne nous déçoivent & abusent ; ils disent que la face de la terre est plus grande que celle de l’eau ; de quoi notre Nonius même nous admoneste et avertit[22].

 


 


Que la terre est le centre du monde, &

qu’elle demeure immobile.

Que la Terre soit située au milieu du firmament il appert ainsi. A ceux qui sont en la superficie de la terre, les étoiles apparaissent d’une même quantité, soient elles au milieu du ciel près d’Orient ou près d’Occident ;

 


 


& cela advient à cause que la terre est également distante d’icelles ; car si la terre était plus prochaine du firmament en une part qu’en autre, s’ensuivrait que celui qui serait en une partie de la superficie de la terre plus prochaine du firmament ne verrait la moitié du ciel ; ce qui est contre l’opinion de Ptolémée[23] & de tous les philosophes, qui disent, que en quelque lieu de la terre où l’homme puisse être, six signes du zodiaque lui sont élevés, & les autres six couchés, & par ainsi toujours la moitié du ciel lui est apparente, & l’autre moitié lui demeure cachée.

Semblablement nous avons marque & signe évident que la terre est comme un centre et point, ayant égard au firmament ; car si la terre était de quelque quantité auprès du firmament, la moitié du ciel ne se pourrait voir. Davantage si l’on entend une superficie plane sur le centre de la terre, divisant icelle en deux parties égales, & par conséquent le firmament, lors l’œil qui serait au centre de la terre verrait la moitié du ciel, & icelui même œil étant en la superficie de la terre verrait la même moitié du ciel.

 


 


Des choses susdites s’ensuit que la quantité de la terre, qui est depuis la superficie jusqu’au centre, est insensible, & par conséquent la quantité de la terre au regard du firmament[24]. Aussi Alphragant [autre orthographe] dit que la moindre des étoiles fixes, qui se puisse voir, est plus grande que toute la terre ; mais icelle étoile, ayant égard au firmament, est comme un point & centre ; par plus forte raison la terre sera un point, au regard d’icelui, vu qu’elle est moindre qu’icelle étoile.

Que la terre soit immobile, & située au milieu du monde, vu qu’elle est fort pesante, il nous est donné à entendre par sa pesanteur ; car toute chose pesante tend naturellement au centre[25] ; le centre est un point au milieu du firmament. La terre donc vu qu’elle est de grande pesanteur, tend naturellement à icelui point.

Item toute chose qui est tirée ou se meut hors le centre & point du milieu, monte à la circonférence du ciel. Si donc la terre se meut du centre & milieu du ciel, elle monte à la circonférence d’icelui ; ce qu’on laisse pour impossible.

 

Du circuit de la terre, & de

son diamètre.

Tout le circuit de la terre, selon Ambroise, Théodose, Macrobe[26], & Eratosthène philosophes, contient 252 000 stades, comptant pour chacune de 360 parties du Zodiaque sept cents stades ; ce qu’on pourra expérimenter prenant l’astrolabe ou quadrant en une nuit bien claire & étoilée ; voyant le pôle par les deux trous des pinnules, faudra noter le nombre des degrés, qui nous sera montré par le mediclin dit en Arabe Alhidade [alidade].

 


 


En après celui qui mesure le monde faut qu’il procède et chemine par ligne droite de Midi à Septentrion, jusqu’à ce qu’en la clarté d’une autre nuit, voyant le pôle comme auparavant il ait mis le mediclin [l’alidade] plus haut d’un degré. Puis après avoir mesuré l’espace du chemin qui est entre la première & seconde observation & seront trouvés 700 stades ; ceci bien connu et entendu si baillez à chacun des trois cent soixante degrés, autant de stades, le circuit de la terre sera entièrement trouvé[27].

 


 


Otez la vingt deuxième partie du circuit de la terre, & la troisième partie de ce que reste, c’est à savoir octante mille cent octante un stades & demi, & la troisième partie d’un stade, sera le diamètre ou épaisseur de la terre[28].

 

ANNOTATION.

Ambroise, Théodose, Macrobe, en ce lieu ici est un même auteur. C’est à savoir ce Macrobe, qui a écrit les livres des Saturnales, & les commentaires sur le Songe de Scipion ; dans lesquels au livre premier vous trouverez ce qui a été dit du circuit de la terre comme pris de Eratosthène. Je ne sais pourtant si de Sacrobosco a vu & lu les écrits de icelui Eratosthène, lesquels si nous les eussions pu recouvrer  & fussent tombés entre nos mains tous entiers, nous saurions qu’il a écrit, & veut le circuit de la terre être de deux cent cinquante et deux milles stades, comme nous récite & raconte Pline sur la fin de son second livre & le susdit Macrobe, Capella et aussi de Sacrobosco ; mais si c’est de deux cent cinquante [milles] seulement, c’est à dire en Grec […], ainsi que contient le premier livre de Cléomèdes. Et certes l’autorité ouïe de celui-ci seul doit avoir grand poids et peut servir de beaucoup à cause qu’il amène les raisons & fait les mêmes démonstrations de Eratosthène.

Ptolémée après Eratosthène a été celui qui pour sept cents stades a ordonné cinq cents stades seulement à un chacun degré du terrestre méridien répondant à un degré méridien céleste ; la grandeur de la terre étant inconnue pour raison de la grande difficulté qui est de bien mesurer, ou bien si tu veux estimer & chercher ladite mesure en terre comme Eratosthène et d’autres ; ou en la mer comme Posidoine [Posidonios] et le même Cléomède auteur[29]. Ce que en ce lieu ci est simplement & vulgairement appelé le circuit de la terre, il n’est pas de la seule terre mais de la terre et de l’eau ensemble, parce que l’eau et la terre joints en un & non séparés, sont estimés faire & constituer une Sphère ronde [au lieu de deux]. Au reste les Géomètres ont fait les vers suivants qui parlent des mesures, afin que plus facilement on les peut mettre en mémoire, pour s’en resouvenir quand on en a besoin.

De quatre grains est la largeur d’un doigt,

En quatre doigts toute palme est parfaite,

Et quatre paumes un pied contenir doit,

Cinq pieds aussi à un pas faut qu’on mette,

Cent vingt cinq pas est la mesure faite

Pour un seul stade, & toujours on entend

Qu’un millier a huit stades complets,

Deux milliers la lieue aussi comprend.

Si est-ce que la lieue qui est un mot Français, duquel aussi les Espagnols usent, ne contient point deux milliers, mais un & demi seulement, c’est à savoir mille cinq cents pas, comme nous en baille la définition Ammianus Marcellinus en son quinzième et seizième livres, & Iornandus en son traité des choses Gothiques. En outre les Géomètres ont encore bien peu démontré certaine raison ou proportion de la quantité du circuit de quelque cercle que ce soit avec son diamètre. Combien que en attendant mieux, pour la vraie proportion vulgairement a été reçue celle qu’on a nommé triple sesquiseptième, tout ainsi que 22 sont à 7[30]. En cette façon et manière les vers suivants enseignent comment par la connaissance du diamètre nous devons trouver la circonférence, ou circuit du cercle, et au contraire sachant la quantité dudit circuit, soudain et sans grand peine nous démontre la quantité du diamètre.

D’un rond qui veut savoir le diamètre

Par sept le tout multiplier il doit,

Puis en portions par vingt et deux faut mettre,

Tout le produit & quotient qu’il voit,

Pour diamètre il peut prendre à bon droit.

Mais s’il voulait le diamètre étendre,

Grand besoin est que multiplié soit

Par vingt & deux, puis le sept il faut prendre

Pour diviser, afin qu’il puisse rendre

D’un cercle entier le tout qu’on demandait.

 

 

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[1] Cette définition de la Sphère, engendrée par rotation d’un demi-cercle, est exactement celle donnée par Euclide (vers 325 av. J.-C. – – 265 av. J.-C.) au livre XI des Eléments. Sacrobosco, en débutant son traité par cette définition, insiste sur l’aspect mathématique de sa description (en opposition à l’approche d’Aristote). En particulier, Sacrobosco ne cite à aucun moment le De Caelo d’Aristote.

[2] Théodose de Tripoli (2e ou 1er siècle av. J.-C.) est connu pour son traité nommé Les Sphériques (Sphaerica).

[3] Les « Annotations » sont ajoutées par le traducteur, Guillaume Desbordes.

[4] Le terme « démontré » est ici synonyme de « montré ». Il n’y a, dans ce chapitre, aucune « démonstration » mathématique à proprement parler.

[5] La théorie du mouvement de trépidation de la sphère des étoiles fixes (8ème sphère) a été propagée par les astronomes arabes, mais n’est pas prise en compte par Sacrobosco, qui considère cependant que la sphère des étoiles fixes a un lent mouvement rétrograde, correspondant au phénomène dit de « précession des Equinoxes » (que l’on sait être dû à l’action du Soleil et de la Lune sur le bourrelet équatorial de la terre, provoquant une variation de l’axe de rotation de la terre, lequel décrit un cône, phénomène de « toupie »).

La trépidation était supposée correspondre à une variation dans la précession des équinoxes, sur une période de 7000 ans. On sait maintenant qu’elle n’a pas lieu d’être, étant fondée sur une erreur de Ptolémée dans la détermination de la précession.

[6] Equinoxial = Equateur. Selon les géographes de l’antiquité, la zone « torride » équatoriale est inhabitable (et infranchissable). Elle nous sépare de l’autre zone « tempérée », situé aux « antipodes » (= pieds opposés) et vraisemblablement habitée. Cette opinion est assez générale dans l’Antiquité. Cependant, Geminos écrira « Entre les tropiques, de nos jours, on est allé voir, et on a trouvé que la majeure partie du pays est habitable ». Eratosthène, Polybe et Poseidonios estimes d’ailleurs que la zone sous l’équateur est plus tempéré que sous les tropiques (voir G. Aujac La Géographie dans le Mode Antique, Que sais-je). Sacrobosco reste prudent.

[7] Sacrobosco reprend la division d’Aristote en monde sublunaire et supra lunaire (constitué des quatre éléments), et plus généralement, les principes de la physique d'Aristote.

[8] La question de l’immuabilité des cieux sera sérieusement contestée par Tycho Brahé, à l’occasion de l’observation de la super nova de 1572 apparue dans la constellation de Cassiopée. L’extraordinaire précision de ses instruments lui permettra de situer, sans aucun doute, par toute absence de parallaxe, cette « nouvelle étoile » bien au delà de la sphère de la Lune. L’observation des taches solaires par Galilée ajoutera un nouvel argument. C’est finalement Newton, par sa gravitation « universelle », qui mettra un terme à la division aristotélicienne du monde.

[9] La 9ème sphère impulse le mouvement général du ciel (mouvement diurne d’Est en Ouest en 24 heures) autour de l’axe des pôles. La 8ème sphère (des étoiles fixes) possède un mouvement propre d’Ouest en Est, autour des pôles de l’écliptique, d’un degré par siècle, et correspondant au phénomène de précession des équinoxes (en particulier la position du pôle évolue lentement, et donc l’étoile polaire). Les mesures actuelles de la période de la précession donnent environ 26 000 ans (25 770) d’où 1 degré en 143 ans environ.

[10] L’inclinaison de l’écliptique (on dirait maintenant de l’axe de rotation de la terre) est variable. C’est le phénomène de « nutation », découvert par Bradley en 1728, mais correctement expliqué seulement 20 ans plus tard. Le cercle de précession (que décrit le pôle sur le fond des étoiles fixes), n’est pas tout à fait un cercle. L’influence complexe de la Lune donne à l’axe de la Terre un léger mouvement d’oscillation de part et d’autre du cercle de précession, modifiant ainsi l’angle de l’écliptique. Ce dernier varie de 21°59’ à 24°36’ sur une période de 41 000 ans. Evalué à 23°51’20’’ par Hipparque, il est actuellement d’environ 23°26’ (on est dans un intervalle de décroissance).

[11] Le chapitre 2 du livre I de l'Almageste porte comme titre "Le Ciel se meut sphériquement". Les paragraphes suivants, jusque dans leurs titres, suivent d'assez près l'Almageste. Les arguments que donne Ptolémée en faveur de la sphéricité des cieux sont tous de nature observatoire ou mathématique, et non physiques ou philosophiques comme le fait Aristote (sur la nature du mouvement).

Ptolémée écrit que les Anciens peuvent avoir été conduit à l'idée que le mouvement des cieux est sphérique, par l'observation des levers et couchers des corps célestes sur des cercles parallèles, mouvements qui sont récurrents. Sacrobosco débute ses arguments par la même observation.

[12] Depuis l’époque d’Anaximandre (VIe siècle av. J.-C.), on suppose que le ciel étoilé est une boule et l’on fabrique des globes portant les étoiles.

Les premiers arguments, apportés par l’école de Pythagore (vers 530 av. J.-C.), seront de type « mathématique » et esthétiques, en raison de la perfection attribuée à la forme sphérique.

Certains arguments donnés par Sacrobosco (la forme ronde n'a ni commencement ni fin, nécessité d'absence du vide), se retrouvent chez Aristote, dans la Physique ou dans le Traité du Ciel, mais la plupart sont empruntés à Ptolémée : distance constante des étoiles à la Terre, propriété isopérimétrique de la Sphère, nature de l'Ether (commun à Aristote).

[13] L’impossibilité physique du vide sera encore soutenue par Descartes.

[14] Al-Farghani (né à Farghana, Transoxiane, Asie centrale, vers 860) a écrit des Eléments d’Astronomie (Kitab fi al-Harakat al-Samawiya wa Jawami Ilm al-Nujum = Livre sur le mouvement céleste et à travers la science des étoiles) traduits en 1187 en latin par Jean de Séville, qui ont eu une grande influence en Europe. La Sphère de Sacrobosco s’inspire de l’œuvre d’Al-Farghani.

[15] Sacrobosco reprend ces explications de l'Almageste. Il semble qu'il soit fait allusion au fait que la Lune ou Soleil apparaissent plus grands près de l'horizon. L'explication donnée dans l'Almageste, et reprise ici, attribue ceci à un phénomène de réfraction, dû à l’atmosphère terrestre. On sait que cette explication est fausse, les mesures montrant qu'il s'agit d'une simple illusion d'optique (le diamètre apparent des astres est le même). Ptolémée donne l'explication correcte dans son Optique.

[16] Cette note dans la note est pour signaler que Sacrobosco ne donne ici aucun argument théologique (c’est Desbordes qui l’ajoute), se démarquant ainsi de son environnement parisien, très porté sur la théologie. Son approche est davantage rationnelle, mathématique et logique.

[17] La Syntaxe Mathématique ou Almageste, ainsi désigné par les Arabes.

[18] C’est probablement Pythagore qui, le premier, a l’idée d’une Terre ronde comme une boule. Mais ses arguments sont d’ordre philosophique (la sphère comme forme de perfection).

Aristote dans le Traité du Ciel donnera des arguments "rationnels", de nature "physique" (par sa génération par agrégation due à la pesanteur et par la doctrine de sa place naturelle au centre de l'Univers) et résultant d'observation (forme de l'ombre terrestre sur la Lune lors des éclipses de Lune).

Les deux arguments repris ici par Sacrobosco sont différents de ceux d'Aristote, et sont exactement ceux donnés par Ptolémée dans l'Almageste, résultant uniquement d'observations : observation du ciel à différentes latitudes (étoiles visibles et heure d'une éclipse de lune, et non forme de l'ombre terrestre qui n'est peut-être pas complètement décisive) et observation sur Terre (en fait sur mer) donnée au paragraphe suivant.

N’oublions pas, de plus, que les grecs sont un peuple de marins, desquels peuvent provenir certaines des observations données par Ptolémée (étoiles, courbure de la mer).

[19] La figure précédente est une « volvelle », c’est à dire comporte des éléments mobiles. C’est en 1538 que l’imprimeur Joseph Clug a introduit pour la première fois trois volvelles dans une édition de la Sphère de Sacrobosco (présentes ici). Celle-ci montre, à partir des éclipses de Lune, la courbure de la Terre d'après les heures locales différentes auxquelles l'éclipse est observée(l’observation de ces éclipses a d’ailleurs longtemps été le seul moyen de mesurer les longitudes).

[20] Que l’on songe aux marins Portugais, quand, franchissant l’équateur, l’étoile polaire disparut de leur vue.

[21] C’est une idée de la Renaissance, où l’on ne représente plus l’élément terre entouré d’une sphère d’eau, mais un globe où terre et eau se mêlent.

[22] On s’imagine mal, à la Renaissance, l’immensité d’eau de l’Océan Pacifique et de l’hémisphère sud en général. De nombreuses cartes montrent encore une terre australe inconnue, faisant pendant aux continents de l’hémisphère nord.

[23] Les arguments donnés ici, et liés à l'observation du Ciel, sont ceux fournis par Ptolémée dans l'Almageste. En revanche Ptolémée n'affirme pas que la Terre est exactement au centre du Monde, mais qu'elle se situe au centre de l'Univers "relativement aux sens", c'est à dire "à quelque chose près", un petit déplacement (petit relativement au grand éloignement des astres) étant indétectable pour l'observateur terrestre.

[24] Ptolémée affirme dans l'Almageste que "la Terre est un point relativement à la taille des Cieux" et appuie cette affirmation sur l'absence d'effet de parallaxe dans l'observation des étoiles.

[25] Ces arguments de type "physique" (mouvement "naturel" de la pesanteur) sont ceux d’Aristote, et ne sont pas repris par Ptolémée. Il en résulte que la position de la Terre est "par naure", exactement au centre du Monde.

[26] Ambroise Théodose Macrobe, probablement originaire des îles de la mer Egée, vécut à Rome entre le IVe et le Ve siècle. Dans ses Commentaires sur le songe de Scipion, il épilogue sur le songe de Scipion dont Cicéron était l’auteur. De philosophie néo-platonicienne, il fut très à l’honneur au Moyen Age.

[27] La mesure d’Eratosthène (vers 230 av. J.-C.) est de 250 000 stades pour la circonférence de la Terre. Si l’on considère que le stade égyptien valait environ 157,5 mètres, le résultats est d’une précision miraculeuse (39 400 km au lieu d’environ 40 000 km). Ptolémée, suivant Posidonios, réduisit la circonférence terrestre à 180 000 stades.

[28] Comme le montre la gravure, on multiplie la circonférence par (1 – 1/22) / 3 = 21 / 66 pour obtenir le diamètre, ce qui revient à prendre 66 / 21 » 3,143 comme approximation de p.

On a 252 000 ´ (21/66) » 80 181,82  (et 0,5 + 1/3 » 0,83).

[29] C’est ce doute sur la mesure de la Terre qui la fera sous-estimer par Colomb (d'autant qu'on surestimait la dimension en longitude de l'Ancien Monde). Il faudra attendre le XVIIe siècle, et les mesures de Picard (disposant de la visée optique) pour obtenir un résultat fiable.

[30] L’irrationalité de p (l’impossibilité d’avoir une « vraie » proportion) a été démontrée par Lambert (1728-1777) en 1761 et Legendre en donne en 1794 une démonstration « simple » dans ses Eléments de Géométrie.