La Sphère de Jean de Sacrobosco
PREFACE, DEDICACE ET SOMMAIRE

 

LA SPHERE DE JEAN DE SACROBOSCO

augmentée de nouveaux commentaires, & figures

servant grandement pour l’intelligence d’icelle :

 

Le tout mis de Latin en François par Guillaume des

Bordes Gentilhomme Bordelais, Licencié es droits,

professeur es Mathématiques : lequel a ajouté

plusieurs bonnes Sentences & Arguments à une Préface

qui est au commencement du Livre, pour prouver que

l’Astrologie est très utile et nécessaire au genre humain

& qu’elle ne doit être méprisée de l’homme Chrétien.

 


 


A PARIS

Chez Denise Cavellat[1], au mont

S. Hilaire, à l’enseigne du Pélican.

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1607.

 

 

A MONSEIGNEUR LE COMTE

de Tande Chevalier de l’Ordre du Roy, Conseiller

en son Privé Conseil : grand Sénéchal, Gouverneur

& son Lieutenant- Général en Provence, Amiral

des Mers de Levant, & Capitaine de cinquante lances.

 

Monseigneur, ceux qui veulent & désirent n’être empêchés, ni détournés en aucune de leurs bonnes entreprises, par les malins & envieux, qui coutumièrement sont ennemis de toute vertu, & action qui redonde au profit et utilité de la République ; il faut nécessairement pour éviter de tels dangers, qu’ils se soumettent en la protection d’un Seigneur , ayant la puissance, & la volonté de porter faveur à ceux qui se retirent vers lui, pour la sûreté de leur personne, biens, & repos d’esprit, afin de plus librement & sans crainte poursuivre ce qu'ils ont commencé faire pour le bien public. Voulant être imitateur de tels hommes, ces jours passés ayant en main le livre de Iehan de Sacrobosco qui traite de la Sphère du Monde, & voyant qu’il était tellement traduit de Latin en Français, qu’on n’y pouvait voir, ou connaître aucune forme, ou trace dudit livre selon l’intention dudit Auteur, ce qui pouvait être advenu plutôt par la faute d’un bon exemplaire que par l’ignorance ou malice du traducteur[2]. Et pour ce que entre tous les livres que nous ayons aujourd’hui, celui-ci mérite d’être vu, lu, corrigé à son vrai exemplaire, & par ce moyen restitué en son entier, je me suis essayé de le traduire & le faire mieux parler Français, qu’il ne faisait par ci devant, & ce selon le petit savoir que Dieu m’a donné ; remettant le tout sous votre censure et bon jugement, afin que les envieux de mon labeur (si [d'] aucun me voulait courir sus) sachent, & soient certains, qu’il leur appartient d’entreprendre aucune chose sur moi ni parler de ce que j’ai entrepris faire, & ai mis à exécution le mieux qu’il m’a été possible ; vu que vous seul, autant que nul autre, pouvez amender les fautes que pourrais avoir commises en ladite translation du présent livre parce qu’êtes docte en la science qu’il traite, comme un chacun qui bien vous connaît, le sait & entend. Ce qui est chose plus qu’admirable en vous, vu la grandeur de votre maison, de toute ancienneté très illustre, & les charges & affaires publiques, qui vous ont été données des Rois de France depuis votre jeunesse, vous estimant à bon droit avoir surmonté & surpassé d’esprit, & bon jugement, les dons que nature a de coutume impartir avec le temps aux autres hommes. Car toutes ces choses, qui occupent & détiennent entièrement le plus sage & diligent homme qui soit, vous pouvaient & devaient distraire de telles études, & vous empêcher de n’y pouvoir vaquer un seul moment de temps, combien que par votre prudence avez si bien réparti votre temps, que vous avez toujours trouvé heures propres, pour appliquer votre esprit aux bonnes sciences. Ce que je dis étant connu de tous les grands seigneurs & gens de bon esprit, & que votre grandeur & bon naturel accompagné d’une grande douceur, & humanité favorisant toujours, & aidant tous ceux qui aspirent, & s’adonnent aux bonnes sciences ; croyant que je ne serai frustré de mon intention, j’ai pris la hardiesse de m’adresser à votre excellence, & seigneurie ; pour vous prier & supplier de me recevoir sous votre protection & sauvegarde avec ce petit livret de Iehan de Sacrobosco, & une préface de l’utilité de l’Astrologie, le tout mis en Français afin qu’aucun ne se puisse excuser de l’étude de tant belles sciences, comme font quand sont seulement écrites en Latin. Et s’il vous plait me faire tant d’honneur & de bien, que entérinant ma requête me favoriser tant, que ne dédaignez prendre & recevoir sous votre protection moi, & ce mien petit labeur, que de bon cœur je voue dédie. Je vous ferai voir, Dieu aidant, d’autres œuvres qui seront miennes, lesquelles bientôt sortiront en lumière, si j’entends que ce mien premier coup d’essai, vous ait été aucunement agréable. Pour cette occasion en me recommandant très humblement à vos bonnes grâces, je prierai Dieu, Monseigneur, vous donner en santé très longue et heureuse vie. De Paris ce troisième Décembre. 1569.

Votre très humble & très obéissant serviteur,

G. DESBORDES.

 

PREFACE CONTENANT

l’utilité d’astrologie[3].

 


 


Vu qu’en tous arts qu’on traite, il est fort utile, et profitable de donner au commencement quelques brefs rudiments (qu’on nomme communément Eléments) pour préparer ceux qui étudient, & prennent peine à venir à l’intérieure, & entière connaissance de la doctrine ; certainement un chacun doit beaucoup à ces bons & doctes personnages qui nous ont déclaré, ou laissé par écrit, les introductions, par brefs extraits pris de ces très belles & excellentes sciences d’Astronomie, & Cosmographie, lesquels non seulement pour l’excellence, & dignité desdits arts, méritent être grandement loués, mais beaucoup plus pour l’invention d’avoir pu éclairer une chose tant difficile. Car ils ont pris une grande peine & travail, joint avec une admirable prudence, d’une tant grande abondance de divers choses avoir pu choisir, & élire ce qu’ils ont vu, & connu être grandement profitable à ceux qui venaient, & se préparer d’entrer aux dites sciences. Pour cette cause j’ai toujours merveilleusement aimé le livret de Iehan de Sacrobosco, lequel entre tous autres, me semble avoir proprement compris les Eléments & premiers préceptes de ce qu’il traite ; & aussi j’estime que les hommes très doctes des bonnes Universités qui ont eu charge de gouverner la jeunesse dans les Collèges, ont très bien vu & connu ceci, puisque tous d’un commun accord, ont préféré ce livret à tous autres, qui traitent le même sujet, qui est la doctrine du premier mobile, & ont voulu qu’en tous les Collèges il fut lu, & demeurât en son entier, pour être porté entre les mains d’un chacun ordinairement afin qu’on l’apprît par cœur. Le livre qui doit être de longue durée, faut qui soit [sic] accompagné d’un bon heur, qu’aucuns [= certains] nomment bon Ange (comme dit Martial) mais un tel heur n’advient jamais aux œuvres qui ne sont point recommandables, ou estimées pour le profit qu’elles apportent. Or comme ainsi soit que ce petit livret en un si long espace de temps en toutes universités et Collèges, où il y a une si grande variété d’esprit & jugements, il a néanmoins été tant accompagné de bonheur qu’un chacun l’a beaucoup prisé & estimé ; nécessairement nous concluons qu’il doit être, comme il est, farci et rempli de beaucoup de bonnes choses. Car nous voyons par expérience que peu de livres soient si longuement gardés qu’ils puissent être mis au rang des anciens & principalement aux collèges, là on a accoutumé de faire un jugement fort sévère & rigoureux de tous auteurs qui y sont présentés. Mais ce livret avec un consentement & approbation de tous hommes doctes depuis beaucoup de siècles est lu & interprété. Pour raison de quoi il faut que nous ayons soin, que tout ainsi que nous l’avons eu par les mains de nos Ancêtres, que nous le laissions ainsi en son intégrité à ceux qui demeurerons en vie après nous, & comme une œuvre servant au public, nous le conservions & gardions pour les particulières & publiques études d’un chacun afin qu’il démontre aux jeunes gens comme ils doivent entrer aux arts & sciences tant belles qu’il décrit, & baille les premiers Eléments & préceptes. Et si nous estimons la connaissance de ces arts être grandement utile, & profitable, tandis que nous vivons, il faut soigneusement garder et conserver ces mémoires, & documents lesquels nous donnent l’entrée à icelles. Mais qui est celui, tant dur d’esprit, tant hébété & sans aucun sentiment soit il, qui quelquefois regardant le ciel, garni de tant grande variété de beaux luminaires, ne s’émerveille de divers, & quasi incompréhensibles mouvements, qui journellement sont faits par les corps célestes ? & qui ne désire connaître les voies & chemins qu’ils tiennent par certaines raisons, données de Dieu aux hommes pour l’honorer & adorer comme seul auteur & créateur ? Car jamais la subtilité et vivacité de notre esprit n’eut pu s’enquérir, & considérer choses tant diverses, comme sont les mouvements célestes, vu la distance grande qui est entre eux & nous ; si Dieu n’eût éveillé, & suscité l’esprit de quelques grands personnages, & les eût inspirés pour rendre raison de telles contemplations ; auxquelles ils appliquaient tout leur temps, & étude. Et puisque la propre nature conduit la volonté des hommes bien nés & leur donne un désir d’apprendre, & savoir ces arts, il faut juger que ceux là n’ont aucun entendement, qui ne sont affectés, ni émus d’une telle beauté & douceur de l’aise qui provient de la connaissance de choses tant admirables. Platon n’a point dit sans raison, que les yeux ont été donnés aux hommes à cause de l’Astronomie. Car il voulait par là faire entendre, qu’il n’était pas au monde chose plus excellente, & de quoi l’homme dût plus avoir de contentement, que regardant ces cieux & lumières célestes. Et nos yeux même semblent symboliser, & avoir quelque convenance, & affinité avec les Astres. Car tout ainsi que nous voyons le Soleil répartir sa clarté à un chacun, & être cause seule pourquoi les ténèbres sont chassées du monde ; tout en même sorte en l’homme (lequel aucuns [= certains], pour plusieurs similitudes & causes qui lui conviennent, ont appelé, LE PETIT MONDE[4]) ont été faits deux luminaires en sa tête, semblables aux Astres. Et par ainsi ceux qui ont en dédain ces deux luminaires qu’un chacun a de sa naissance, & les mettent à nonchaloir, ne considérant point l’ouvrage de nature, ils étaient dignes dès le commencement qui sont venus en ce monde, & avaient très bien mérité, qu’on leur arrachât les yeux de la tête [ ! ]; puisqu’ils n’en veulent point user, pour connaître la chose pour laquelle principalement ils ont été faits ; vu mêmement que cette connaissance nous admoneste, & certifie qu’il y a un Dieu, & que nous participons de l’immortalité. Car il ne se peut faire que l’esprit humain ne constitue en son entendement quelque divine intelligence, laquelle par une très belle ordonnance régit et gouverne toutes choses, s’il considère et prend garde diligemment à ces cours ordinaires, et aux règles certaines décrites des mouvements des grands orbes célestes, & des étoiles qui y font leur résidence. Une chose si grande et si émerveillable ne peut être conduite fortuitement, ou par autre violence ; & ne peut demeurer stable et ferme comme elle est sans être régie par une divine intelligence. Pour raison de quoi si l’Astronomie confirme cette opinion, & Dieu la grave au cœur des hommes, Platon non seulement a très doctement dit, mais doit être jugé avoir religieusement proféré, que les yeux nous avaient été donnés à cause de l’Astronomie. Et certainement pour cette cause seule nous les avons ; & aussi afin qu’ils nous puissent conduire à faire recherche afin que nous ayons quelque connaissance de Dieu et de ses secrets admirables autant que l’homme peut savoir. Et pour cette cause nous voyons, que de tous les Philosophes seulement ceux là qui ont été Athées, qui ont méprisé l’Astronomie, lesquels après qu’ils ont eu ôté, & ont dénié la providence, par même moyen ils ont aussi ôté l’immortalité des âmes. Lesquels s’ils eussent goûté quelque peu cette doctrine, ils eussent aussi par même moyen compris, et vu manifestement, les vestiges et marques de Dieu, qui sont gravés en la nature, lesquels reconnus, eussent été contraints de confesser, que tout ce qui est en lumière a été fait & construit et est aussi gouverné par une ordonnance & providence éternelle. Mais si quelqu’un encore s’enquérait, & demandait quelque lieu et passage de la saint Ecriture, par lequel ces études fussent approuvées, et recommandées ; il trouvera en Genèse un témoignage fort apparent, et prégnant, là où il est écrit : Et ces corps célestes sont faits & procrées en signes, et significations : aussi pour les temps, pour les jours, & pour les années. Je demanderais volontiers, comment nous connaîtrions le Soleil avoir fait et parachevé son an, si l’on n’observait son mouvement, & entier circuit ; & si on n’écrivait & marquait les espaces et intervalles de son cours et des temps ? Pour raison de quoi cette voix divine nous admoneste & exhorte à diligemment observer les mouvements des corps célestes ? Rencontrerai-je et mettrai en avant les biens, & utilités publiques qui en proviennent ? Quelle serait la vie des hommes à l’avenir, si nous n’avions la raison, et distinction des temps par écrit ? Et si dedans les histoires écrites le nombre des années n’était compté & pour toutes choses qu’on doit faire si le temps & les parties du temps (comme sont les mois, jours et heures) n’étaient fixées, & déterminées ? Notre vie serait pire que celle des Barbares, & moins à priser que la manière de vivre des bêtes brutes, si nous ne connaissions la continuation de toute antiquité jusqu’au temps présent, et si en toutes les affaires qui se présentent nous ne pouvions constituer & établir quelque ordre par la détermination des temps. Certes si nous étions tombés en si grande ignorance, toute religion serait du tout en tout abolie ; & outre toute forme de l’état civil, et des Républiques serait ôtée, et anéantie. Et n’y a aucun autre moyen par lequel toute police et société humaine puisse être gardée et conservée en son entier. Puisque donc la nature nous suscite et incite, & que les divins oracles nous admonestent, et encouragent (combien que ce sentiment que nous avons de nature soit quelque inspiration divine, & la devons estimer être comme une voix vive de Dieu) & les grands biens, & utilités qui en procèdent nous invitent, & convient à une telle doctrine, toutes manières de gens, & principalement les jeunes la doivent chérir, aimer, apprendre, & comprendre diligemment. A ceci les doivent émouvoir, & inciter les louanges qui sont attribuées & données à la Germanie, laquelle à suscité et fait fleurir cette science ; laquelle avait été délaissée, et quasi ensevelie par un si long temps qu’on l’avait comme mise en oubli, si elle ne fut été restaurée, par deux grands et excellents personnages Purbache, & Iehan de mont-Royal[5]. Desquels l’un était sorti de Norique, et l’autre était de plus près voisin des Français. Ce que ces hommes héroïques ont dit, et laissé par écrit, témoigne assez qu’ils ont été suscités d’un singulier & divin vouloir, pour illustrer, éclaircir & faire entendre ces arts. Aussi quand-est-ce qu’elles ont été mises si évidemment, et avec une telle facilité en lumière, depuis qu’elles ont été assoupies et éteintes en Egypte ? Car encore que les Arabes avec une grande dextérité d’esprit eussent tellement pris, & usurpé la possession de ces sciences délaissées par les Grecs qu’ils l’ont transmise en occident aux Espagnes ; si est ce que leurs écrits démontrent que icelle nation pleine de curiosité, n’a point tant travaillé à la recherche, & observation des mouvements célestes qu’en divinations desquels ils ont été si cupides, & si désireux qu’ils n’ont pu être contents de l’Astrologie de Ptolémée (laquelle on peut estimer être une partie de la Physique) mais ils ont songé & trouvé en leurs esprits des sortilèges, & plusieurs autres genres de prédictions n’étant fondées aucunement en raison[6]. Ce que n’ont fait les susdits Allemands, car ils ont converti toute leur étude à la principale partie de la doctrine. En prenant les plus obscures et difficiles démonstrations de Ptolémée, & les interprétant clairement ; & afin que l’art fut continué, & laissé à ceux qui viendraient après eux, ils nous ont enseigné, et instruits par plusieurs et diverses façons de doctrine en leur commentaire. Les Anciens louent grandement l’invention de Archite, qui fit voler une colombe de bois ; ils estiment aussi la singularité & excellence de divers ouvrages d’Archimède ; mais c’est une œuvre beaucoup plus admirable, ce bref & petit livret que Purbache a fait des Théoriques des Planètes ; par lequel il a sommairement, & succinctement pris toutes les grandes œuvres de Ptolémée, et a proposé devant les yeux la vraie situation , & figure des Orbes et Sphères célestes. Que dirai-je des autres choses qu’ils ont laissé dignes de mémoire ? d’un entier abrégé sur la doctrine de Ptolémée, des tables qu’ils ont écrites, avec lesquelles ils nous ont démontré l’usage, afin qu’ils rendissent l’art en son entière perfection ? Donc jusqu’au temps présent la louange de cette doctrine complète, et appartient aux Allemands. Car les auteurs susdits ont épandu & dispersé la semence de cette doctrine par toute la Germanie non autrement qu’ont écrit de Triptolème, qui départit ça et là, la semence de toutes sortes de fruits. Pour la raison de quoi faut que nous évertuons de garder et conserver la possession de choses tant bonnes qu’ils nous ont laissées, laquelle possession si on la perdait, cela viendrait d’une lâcheté de cœur qui redonderait à un grand vitupère. Mais il y a maintenant quelques uns qui ressemblant aux Epicuriens se moquent de tout ce genre de doctrine, & non seulement commandent de ne croire point aux prédictions qui se font par l’Astrologie, ainsi blâment aussi et vilipendent la doctrine des mouvements des corps célestes, lesquels aussi nous laisserons rêver et folâtrer avec les Epicuriens[7]. Car ils sont tels qu’ils ont plus affaire d’un Médecin que d’un Géomètre. Vu que c’est un genre manifeste de folie, que de mépriser la connaissance des mouvements, laquelle provient de fort doctes & inexpugnables raisons, encore que nous laissons l’autre partie de cette science, laquelle se peut appeler divinatrice. Combien que Picus de la Mirandole[8], ni autre quel qu’il soit, ne m’aie jamais peu persuadé, que les Astres exercent leurs effets, & n’aient grande puissance sur les quatre Eléments[9] et sur les corps de toute chose vivante, et que leurs significations n’importent rien en cette nature terrestre[10]. Car nous voyons clairement par expérience certaine, que les conjonctions des étoiles ardentes qui de leur influence sont de nature de feu, brûlent aucunement [= certainement] les corps terrestres, & les rendent arides & secs ; et au contraire, la conjonction des étoiles & signes humides, augmentent les humeurs humides. Puis après la diversité de la miction des rayons des corps célestes, engendrent aussi variété, et diversité de la température de toutes qualités ; comme la miction des médecines, les simples dispensent autrement l’une fois que l’autre ont aussi divers effets. Pour cette cause je juge que Aristote a très bien dit, quand il a écrit, que ce monde inférieur est régi & gouverné par le supérieur, & que les choses supérieures sont causes des mouvements qui se font aux corps inférieurs, & ajoute une raison très prudemment et sagement cogitée et pensée. Vu que le commencement de tout mouvement est & provient du ciel, dit-il, s’ensuit et faut conclure que le mouvement du ciel est cause du mouvement de toutes autres choses. Ce sont ces paroles lesquelles nous écrirons en grec, comme il a écrit afin que les jeunes gens en soient souvenant comme d’un oracle & prophétie.

[Suit la citation en grec.]

Car tout ainsi qu’en nos corps vivants le premier mouvement, qui consiste au cœur, excite le mouvement en tous les autres membres ; tout ainsi et sans nul doute, le premier mobile qui est le neuvième ciel, & dernier & plus grand selon notre auteur Sacrobosco, il provoque tous autres corps afin qu’ils exercent & fassent quelques mouvements selon la propriété de leur nature. Et n’y a aucun qui ait été bien instruit en la philosophie, qui puisse autrement sentir & opiner. Car et les médecins qui ont accoutumé chercher les causes de toutes choses, plutôt en la matière que au ciel, si est ce pourtant qu’ils attribuent plusieurs choses à la constitution des corps célestes ; comme nous le démontre le petit livret qu’on attribue à Hippocrates, intitulé, de l’air, des eaux, & des lieux. Même ceci ne convient point à la doctrine chrétienne ; laquelle encore qu’elle nous enseigne toutes choses être régies & gouvernées divinement, si est ce qu’elle n’ôte & n’abolit point les actions et significations naturelles des choses mondaines ; comme il apparaît en alimentant & nourrissant les corps ; auxquels encore que Dieu ait réparti, & donné la vie & mouvement, si est-ce qu’il a commandé qu’ils fussent doucement traités, fussent repus, & mangeassent viandes, & qu’ils bussent, & usassent de toutes choses qui auraient été crées et composées pour garder & conserver la vie. C’est aussi prudence digne d’un Chrétien de juger quelles sont les communes actions de Dieu, & de nature, & quelles sont les propres actions de Dieu sur la nature. Et afin que nous disions ce qui en est, & parlions proprement de l’homme, souventefois pensant à part moi, il m’a semblé qu’il y avait trois genres d’actions qu’on peut apercevoir être en tous les hommes, il est trop connu que de la nature de l’homme provient le sens et la raison. Et que à iceux appartiennent les inclinations, qui suivent la température des quatre qualités. Car nous voyons une infinité de différences et difformités d’esprit & d’entendement, lesquelles certainement mettent en évidence les actions diverses et non semblables les unes des autres ; tout ainsi que le poète nous a signifié et démontré quand il dit.

Toujours chacun de sa nature suit

Ce qu’il a eu de semence et de fruit.

Qu’est-ce qui soit tant reçu pour chose véritable, ni tant approuvé par les médecins que quand on dit, la disposition, action et passion de l’âme & de l’esprit imiter toujours la température du corps ? La chose est trop manifeste et de soi même démontre, que la disposition telle qu’elle doit être en l’âme qui est en un corps bien tempéré, ne peut exercer ses forces en un corps colère, ni montrer ses vertus & effets ; parce que le corps colérique, a en soi des immodérées concupiscences, comme vents, contraignant par une telle véhémence, et impétuosité, que la passion et fâcherie qu’on endure ne peut être détournée ni régie par la raison, sans une grande difficulté. Mais si quelqu’un considère les diverses natures des choses qui sont en toutes régions du monde, et la variété des entendements de toutes manières de gens, dont pourra il faire démonstration d’une telle, et si grande différence d’esprit, vouloirs, & opinions, s’il ne s’aide des effets qui proviennent de la nature des corps célestes ? De toutes ces choses nous pouvons facilement juger qu’en la miction des températures des corps, et des esprits intervient la nature des corps lumineux, et que toujours elle fait concurrence avec toutes choses. Si ne veux-je point penser, ni dire que le nourrissage, les coutumes, institutions, les lois, & les conseils des sages ne profitent beaucoup ; mais tout ce que nous avons discouru ci-dessus, nous le mettons au rang du genre des actions qui procèdent de l’instinct que nous avons, et proviennent de notre propre nature. Il y a un autre genre d’action lequel surpasse la nature étant en l’homme divinement infuse ; car c’est le propre de l’âme Chrétienne d’entendre et sentir en soi que les hommes sont gardés, et gouvernés par un divin vouloir. Encore que Dieu gouverne & régit tout par telle façon et manière qu’il laisse aucunement à la nature d’un chacun ses fonctions, et quasi son libéral arbitre, de suivre le bien ou le mal qui journellement nous est mis devant les yeux, si est-ce qu’il corrige en la nature beaucoup de choses, & change les évènements bien autrement, & au contraire, le plus souvent, de ce que la nature avait proposé faire, & mettre en exécution. Comme nous pouvons voir en l’histoire du prophète Moïse ; car il ne fut jamais gardé ni conservé par la vertu, & puissance des Astres, quand il échappa des mains du Roi Pharaon passant tout au travers la mer rouge, conduisant tous les enfants d’Israël, & les délivrant de la servitude & captivité, en laquelle ledit Pharaon les avait soumis. Saint-Pierre Apôtre de Jésus-Christ par le moyen desdits Astres ne fut pas délivré, lors que l’Ange le vint tirer hors la prison. Saint Paul aussi étant ennemi, & persécutant tous les Chrétiens indifféremment, ne fut jamais appelé à l’évangile pour être (comme il a été) bon serviteur de Dieu, par l’influence & le naturel desdits Astres. Tellement que toutes ces choses bien considérées, il faut croire qu’il n’y a aucun si dépourvu de sens & entendement, qui ne dit les causes de telles œuvres, devoir être référées & attribuées proprement & seulement à Dieu créateur & auteur de toutes bonnes choses. Pour cette cause (comme nous avons accoutumé de faire en toutes autres choses) nous approuvons & recevons les vertus de la nature jusqu’à là, que icelles ne nous ôtent ou anéantissent par la naturelle inclination, les promesses que Jésus-Christ a faites du Royaume de Dieu son père, à tout croyant en soi et en son Evangile. Aussi il ne faut pas tant s’oublier, que nous ne regardons diligemment, de ne bailler telles vertus aux corps célestes lumières de nature, qu’il semble par ce moyen vouloir ôter & déroger quelque chose de la gloire de Jésus-Christ ; auquel puisque toutes choses célestes, terrestres, & infernales, lui sont sujettes, et en est seigneur, à bon droit faut juger que les vertus de toutes les étoiles lui doivent entièrement obéir ; & sur cet appui, & croyance les bons entendements, & esprits se doivent élever, fortifier & assurer, contre les tristes, & fâcheuses significations provenant de la constitution du ciel, & aspects des planètes ; lesquelles troublent, & pervertissent souvent le sens humain, pour la grande imbécillité de la nature de l’homme. Et comme en toutes autres choses nous devons préférer la parole de Dieu à nos opinions ; ainsi contre ces significations nos esprits doivent être confirmés, & fortifiés, nous assurant en la pure parole de Dieu, et ses promesses infaillibles. Ce qu’enseigne la sentence qu’on allègue de Jérémie, quand il dit : Ne craignez point les signes du Ciel, lesquels les Gentils craignent & redoutent. Le Prophète ne veut pas dire qu’il n’y a point de signes au Ciel, ni aussi qu’iceux signes ne nous menassent quelquefois de choses fort tristes, & épouvantables ; mais nous donnant à entendre qu’ils ont tels effets, il console tous ceux qui croient en Dieu, et les avertit , & admoneste de ne craindre tels signes pourvu qu’ils aient confiance & certaine assurance d’être en la protection et garde de Dieu, en tous les plus grands dangers qui leur sauraient advenir. Comme Jésus-Christ prohibe de craindre la mort non pas que la mort ne soit âpre ; mais afin que nous sachions que Jésus-Christ victorieux de la mort nous assiste et est présent à la mort, pour nous garder et conserver de tout danger. Il est donc nécessaire que notre entendement soit élevé sur cette nature universelle du corps ; tellement qu’encore que nous vissions tomber tout le monde en ruine, si est ce que ne devons permettre et endurer que la parole de Dieu, et la confiance qu’avons en Dieu nous soit ôtée ; par laquelle tout ainsi que les bons chrétiens sont munis contre tous périls & dangers qui leur adviennent en quelque temps que ce soit, en la même façon & manière se doivent munir & confirmer contre les mauvaises significations des Astres. Et comme il est certain que les autres parties de la physique, c’est à dire de la science des choses naturelles, ne déroge et ne contrarie aucunement à la religion Chrétienne, nous disons autant de l’Astrologie ; vu que selon notre jugement elle est une des parties de la Physique, & ne peut aucunement offenser la religion si on use d’icelle selon que le lieu, & le temps demande & requiert. Outre ces deux genres d’actions desquelles j’ai fait mention ci-dessus, reste le troisième genre des actions ; pour lesquelles recevoir contre nature, les esprits des hommes sont poussés du diable avec une grande impétuosité, & un violent mouvement désordonné, plein de concupiscence sans raison. Les paillardises infâmes, et exécrables, les meurtres épouvantables de Néron & Caligula, & autres semblables tyrans, il ne les faut point attribuer aux Astres, ni aux autres choses naturelles, mais plutôt au diable. Puis donc qu’on voit & connaît pour certain, les esprits humains n’être incités & émus d’un seul genre seulement des causes, il s’ensuit très bien, que les lois et puissance des destins fatals, provenant des Astres inclinant notre naturel sont empêchés en diverses manières : quelquefois par inspiration divine, quelquefois par la doctrine, & institution qu’on a reçue, quelquefois par délibération, quelquefois aussi sont tournés, & changés en la pire partie, par la suggestion et persuasion du diable. A cette cause Ptolémée a très bien dit, que les jugements et ordonnances des astrologues ne sont pas de telle efficacité, & pouvoir que les arrêts des Préteurs, ou des Parlements qui sont en France. Les ordonnances desdits Préteurs contraignent le peuple à porter obéissance à tout ce qu’elles commandent ; mais les significations des Astres connues & prédites par savants Astrologues, ne nécessitent aucun ; combien qu’il ne les faut pas mépriser totalement. Les histoires sont pleines d’icelles significations, & de leurs évènements, & là on pourra voir assez d’exemples. Mais cette dispute est trop longue, pour la traiter en ce lieu. J’ai raconté les choses devant dites, afin que la jeunesse ne condamne, et méprise entièrement les Mathématiques, & l’Astrologie, qui en provient ; pour ce qu’ils voient les livres, ou peuvent ouïr l’opinion de quelques ignorants qui se moquent & se rient des prédictions & pronostics dites & écrites par des gens plein de savoir. La doctrine des mouvements célestes est digne de l’homme, et nous donne une connaissance certaine, & très agréable, avec un grand contentement. Et si un chacun veut bien juger comme il doit, il entendra cette partie de Mathématiques (qu’on appelle Astrologie divinatrice ou Judiciaire) être une partie de Physique, tout ainsi qu’on estime les pronostics, & prédictions des médecins être une partie de ladite Physique, & ne faut pas penser ou croire que ces beaux corps des étoiles aient été faits & crées en vain. Vu principalement que cet ordre et cours est avec grande raison ; tellement que à tous ceux qui attentivement contemplent les cieux il semble qu’ils voient une police, (qui est un gouvernement de République) dépeinte et décrite au ciel, tout ainsi que les poètes l’ont décrite dedans leurs œuvres. Car le Soleil qui représente un Roi est porté ou se promène au milieu de tous les cieux environné & entouré des Sénateurs, Saturne & Jupiter, du Capitaine des guerres et batailles, qui est Mars, et de l’ambassade de Mercure, ayant pour ses gouvernantes et domestiques familières, la Lune, & Vénus. Lesquelles sont plus prochaines de nous pour ce qu’elles ont domination, et gouvernement sur les quatre humeurs radicales, desquelles les corps sont composés, et sont vivifiés, entretenus & nourris par une quinte Essence, qui provient du Ciel. Puis donc que ce plus que merveilleux ordre, situation, & règles, ou lois, portent très certain témoignage, que cet ouvrage est fait, composé, & construit avec une raison infaillible, il serait hors propos & chose non décente, & convenant à celui qui a la réputation d’être sage, s’il voulait dire, que les Planètes & les Etoiles fixes n’ont aucune signification ni effet selon le naturel que Dieu leur a donné, connu par une longue observation, que les hommes doctes en ont fait les uns après les autres. Les lettres saintes ne disent pas en vain. Seront signes pour les temps, les ans & les jours. Il ne dit ici que la suite des jours & des nuits, la différence des temps, c’est à savoir le printemps, l’été, l’automne & l’hiver, est fait par les Astres ; mais aussi ajoute des Signes qui sont les significations et les effets qui proviennent de la mutuelle concurrence, de la diversité des aspects que les unes Planètes ont les unes avec les autres. Comme est interprété et déclaré par l’opinion et accord des hommes doctes de tout temps et de tout siècle, lesquels ont vu, et trouvé toujours par expérience très véritable, que les Eclipses ont apporté toujours une fin triste, et lamentable en toute chose qu’elles signifiaient. Pourtant tout homme bien appris, & soigneusement instruit, & qui a l’esprit bon, il ne doit être discordant ni contraire à une si bonne opinion reçue & approuvée de tant excellents personnages de tout temps & de tous siècles.

 

FIN DE LA PREFACE.

 

 

SOMMAIRE DU

présent traité.

 

Nous divisons ce traité de la Sphère en quatre chapitres : ayant, en premier lieu, délibéré dire & déclarer, la composition de la Sphère, qu’est-ce que la Sphère, qu’est-ce que son centre : qu’est-ce que l’axe ou essieu de la Sphère, & aussi les pôles du Monde : combien sont de Sphères, & quelle est la forme du monde. Au second chapitre démontrerons les Cercles, desquels la Sphère matérielle est composée, & la supercéleste aussi (laquelle par celle-ci est imaginée & conçue en l’esprit) s’entend en être composée. Au troisième nous traiterons du lever et coucher des Signes, & de la diversité des jours et des nuits, & de la division des climats. Et au quatrième, des Cercles et mouvements des Planètes, & des causes des Eclipses.

 

 

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[1] La gravure représente un pélican, symbole chrétien. Le pélican était supposé ouvrir sa propre poitrine pour nourrir ses petits de son sang, comme le Christ donna son sang pour l’humanité. Précision apportée par Stefan Flosbach.

[2] Desbordes évoque la première traduction française due à Martin de Perer et publiée en 1546.

[3] Cette préface sur l’astrologie ne fait pas partie du traité originel de Sacrobosco. La distinction entre astronomie (science exacte décrivant et calculant les mouvements des astres) et astrologie (pseudo science occulte visant à lire dans les astres des présages pour l’avenir) n’est réellement faite qu’à la fin du XVIIe siècle. Avant cette date, on emploie parfois le terme « astrologie » pour « astronomie ». Il sera question des deux dans cette préface. Il faut dire que la plupart des astronomes étaient aussi astrologues et que l’astrologie était la première « cliente » de l’astronomie et en fut longtemps le moteur.

[4] Il est fait allusion à la théorie de l’homme comme « microcosme », à l’image du monde céleste : chaque planète ou signe du zodiaque présidant à une partie du corps (d’où l’importance de l’astrologie en médecine, pour affiner un diagnostic).

[5] Georg Peurbach (1423-1461) né à Peurbach en Autriche et Johann Müller dit Regiomontanus (1436-1476), élève de Peurbach, né près de Königsberg (« Mont-Royal ») en Franconie (Allemagne du sud).

[6] Ce jugement de Desbordes sur l’astronomie arabe est bien sûr erroné. Cette « nation pleine de curiosité » a donné naissance à une recherche en astronomie très poussée, y compris dans le domaine des modèles planétaires. Peurbach et Regiomontanus ont trouvé une grande partie de leur inspiration dans les écrits arabes. Il est vrai toutefois que les arabes ont beaucoup développé l’astrologie (à la suite de Ptolémée), dont les hommes de pouvoir étaient très demandeurs, et qu’au XIIe siècle, les Occidentaux seront friands des manuels d’astrologie arabe. Cependant les motifs religieux, mesure du temps et orientation, ont aussi constitué un motif puissant du développement de l’astronomie arabe.

[7] Allusion à la doctrine atomiste (tenue par Epicure) et peut-être aux « nouvelles » visions coperniciennes, héliocentriques, de l’Univers.

[8] Jean Pic de la Mirandole (Mirandole 1463 - Florence 1494), philosophe et humaniste néo-platonicien, a écrit une critique de l’astrologie.

[9] La théorie des quatre éléments (Terre, Eau, Air, Feu) développée par Empédocle puis Aristote, s’intègre à la vision géocentrique de l’Univers (le cinquième élément, quintessence, est celui du monde sublunaire) et s’oppose à la théorie atomiste.

[10] Comme on le voit dans la suite de cette préface, Desbordes prône la croyance en une astrologie "modérée" (liée au système physique général hérité d'Aristote et du microcosme) qu'il tente de concilier avec la religion chrétienne.