Le livre Les Instruments scientifiques à travers l’histoire, a été coordonné par Elisabeth et publié aux Editions Elllipses. Il a bénéficié de la collaboration d’une trentaine d’auteurs qui, pour la plupart, ont eu maintes fois l’occasion d’échanger leurs recherches au sein de la commission « histoire et épistémologie » des IREM.
Ce livre de 496 pages raconte donc la vie des instruments de navigation (arbalestrilles, sextants, …) mais aussi des cartes, portulans, sphères armillaires, globes célestes et terrestres, ou encore la vie d’instruments de cosmographie (astrolabes ou volvelles), de la mesure du temps et en particulier de cadrans solaires. A travers les livres de « géométrie pratique », on y parle d’unités de mesure, d’instruments de topographie et de tracé, en laissant place au calcul de proportions. Toute une variété de disciplines ouvrent la porte à la trigonométrie. Enfin, quelques machines (machine de Pascal, machine Enigma, analyseur harmonique) et systèmes articulés vous livrent leurs mystères.
Les mathématiques ne sont pas simplement un domaine de connaissances théoriques abstraites ; elles se concrétisent en un grand nombre d’instruments scientifiques qui font partie du patrimoine. Mais le patrimoine scientifique à la différence du patrimoine technique ou artistique est encore peu connu, peu analysé. L’ambition de ce livre, est de faire découvrir, en s’appuyant sur le patrimoine Haut-Normand, la richesse de ces instruments qui attestent de la multiplicité des champs d’application des mathématiques à travers l’histoire. Nous avons la certitude qu’en retrouvant les démarches simples que permettaient les instruments anciens présentés dans nos musées, démarches décrites dans les livres conservés dans nos bibliothèques, les mathématiques gagnent en lisibilité. Les instruments font sortir les mathématiques de leur tour d’ivoire.
Ces instruments scientifiques répondent à la quête du sens ; on peut les voir, les construire, les utiliser et donc s’en emparer. Souvent ils sont à la fois mystérieux et beaux ; pont entre l’art et la science. Les facteurs d’instruments ont souvent été des artistes géniaux. Les instruments scientifiques nous invitent à découvrir quelques uns des coups de génie de l’humanité.
Coup d’envoi d’un travail sur le patrimoine scientifique haut-normand, les 6, 7 et 8 avril 2001 s’est tenu à l’UFR des Sciences de Rouen un colloque intitulé : « Les instruments scientifiques dans le patrimoine : quelles mathématiques ? », à l’initiative de l’IREM de Rouen et de l’APMEP de Haute Normandie.
En partenariat avec les conservateurs des musées et bibliothèques de la région, prenant appui sur les compétences de collègues rouennais ou de la commission inter-IREM d’Histoire et d’Épistémologie, le colloque s’est attaché à offrir à un public d’enseignants ou d’animateurs un maximum d’informations sur les instruments, sur leur rôle, sur les notions mathématiques utilisées, en insistant sur les « savoirs » que concrétisent ces objets. Ce colloque a été le point de départ d’un travail qui s’est développé jusqu’à fournir les articles présentés dans ce volume.
Agnès PRADALIER et Pierre COLLAUDIN, intervenants à ce colloque et auteurs d’articles dans le présent ouvrage, ne sont plus. Nous avons perdu des collègues cultivés et enthousiastes, avec qui il faisait bon travailler. Que leurs équipes respectives de Créteil et Dijon trouvent la force de prolonger la passion partagée avec Agnés et Pierre. Modestement, ce livre voudrait y contribuer. |
Les articles rédigés par les divers intervenants recouvrent des domaines très divers, attestant de la multiplicité des champs d’application des mathématiques à travers l’histoire. Ce livre permet d’explorer plusieurs domaines appartenant pour des raisons diverses au patrimoine haut-normand ; on peut d’ailleurs supposer qu’un patrimoine similaire, et encore inexploré, est disponible dans bien d’autres régions.
La navigation : les musées des divers ports normands (Le Havre, Dieppe et Fécamp) conservent des instruments de navigation (astrolabes de mer, quartiers de Davis, sextants et octants, théodolites), mais aussi des cartes, portulans, sphères armillaires, globes célestes et terrestres.
La cosmographie : les livres de cosmographie du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Rouen, en particulier ceux du XVIe et XVIIe siècle, décrivent abondamment les instruments de cosmographie. On y trouve en particulier des volvelles (disques en papier qui pivotent) et la description de divers astrolabes. Le musée des Antiquités de Rouen possède un astrolabe très ancien et très particulier : l’astrolabe de Béthencourt.
La mesure du temps : même si la Haute-Normandie ne se caractérise pas par un soleil éclatant, les murs des maisons et les musées sont riches en cadrans solaires et les livres de gnomonique des XVIe au XVIIIe siècles y sont légion. Existe aussi une grande diversité d’horloges qui retrace l’histoire de la mesure du temps.
La topographie : les bibliothèques de la région conservent de très nombreux livres de « géométrie pratique » . L’occasion de découvrir d’anciens instruments de topographie (le compas géométrique de Marolois, le carré géométrique, le graphomètre, l’henry-mètre …) et d’avoir un aperçu des différentes techniques utilisées en topographie au cours des siècles derniers.
Les instruments de tracé : le musée de la Ferronnerie possède une importante collection de compas destinés à différents corps de métier. De nombreux ouvrages l’attestent : pour éviter d’avoir à faire de multiples opérations coûteuses en temps, d’ingénieux instruments ont été inventés. Certains sont restés théoriques, comme les instruments permettant de déterminer des moyennes proportionnelles, mais d’autres, comme le compas de proportion, ont été très largement employés.
Les systèmes mécaniques : la machine de Pascal fut inventée à Rouen, une machine de Fourrier est conservée au centre militaire de Vernon, la machine Enigma est visible au mémorial de Caen (certes, en basse Normandie !), deux pantographes sont conservés au musée de la ferronnerie ; la richesse des systèmes articulés est décrite dans les livres de la BM de Rouen et visibles dans les musées industriels. Plusieurs auteurs s’emploient à expliquer ces machines, certaines, relativement récentes, font appel à des mathématiques de haut niveau.
La trigonométrie : les activités scientifiques en lien avec les phénomènes célestes ne peuvent faire l’économie de la trigonométrie. L’émergence de cette discipline depuis l’Antiquité et dans le monde arabe est ici décrite ; les livres conservés à la BM de Rouen permettent de suivre son évolution jusqu’à nos jours.
Les instruments de mesure : de très nombreuses mesures étalons (longueurs, capacités, poids) sont conservées dans les musées. L’article sur « l’introduction du système métrique » permet de dégager les difficultés rencontrées localement pour abandonner les anciennes mesures.
La mise en valeur du patrimoine local rencontre actuellement un large écho auprès du grand public et des diverses structures chargées du développement de la Culture. À la différence du patrimoine technique ou artistique, le patrimoine scientifique est très peu connu et de ce fait rarement valorisé. Le travail entrepris avec quelques partenaires locaux nous a permis de constater qu’une action conjointe est fort bien accueillie, et est tout à fait bénéfique pour les diverses structures impliquées dans de tels partenariats.
Les travaux en histoire des mathématiques de ces dernières décennies ont permis une exploration des mathématiques telles qu’elles ont émergé à travers les siècles. Un public privilégié, en particulier celui des IREM, a pu bénéficier de ces connaissances en histoire des mathématiques ; mais la diffusion de ces connaissances est encore très parcellaire. Nous avons la certitude qu’un ancrage dans le patrimoine local permet la diffusion de ces connaissances auprès d’un public plus large et donnent à celles-ci l’occasion d’être reconnues comme éléments de la « Culture ».
Il est trop souvent convenu que les mathématiques ne peuvent prétendre au terme de « Culture », tant elles sont réputées austères et coupées du monde réel. Une approche par le patrimoine oblige à considérer les mathématiques des siècles antérieurs. Les mathématiques rayonnaient dans divers domaines que l’on dénomme maintenant Science. Nous pensons qu’une approche par le patrimoine ne peut se situer dans le seul champ disciplinaire des mathématiques telles qu’elles sont entendues aujourd’hui. De ce fait, cette démarche est de nature à favoriser une approche pluridisciplinaire et à réhabiliter les mathématiques au sein de la « Culture ». Le remarquable travail interdisciplinaire réalisé au lycée de Créteil autour de l’astrolabe et présenté au colloque, en atteste.
Inscrire notre discipline dans l’Histoire est un choix pédagogique. Les instruments scientifiques sont des traces tangibles du développement scientifique. Le développement des techniques s’accélère et un monde « presse-bouton » s’installe. La science devient de plus en plus opaque, les mathématiques de moins en moins lisibles. Et pourtant, les mathématiques ont été, et sont encore, au cœur du développement de la science telle qu’elle façonne le monde d’aujourd’hui. Comment le faire comprendre aux élèves et au public ? Nous faisons l’hypothèse qu’en retrouvant les démarches simples que permettaient les instruments anciens présentés dans nos musées, démarches décrites dans les livres conservés dans nos bibliothèques, les mathématiques gagnent en lisibilité. Les instruments convient les mathématiques à sortir de leur tour d’ivoire.
Les instruments scientifiques répondent à la quête du « à quoi ça sert ?» ; on peut les voir, les construire, les utiliser et donc s’en emparer. Souvent ils sont à la fois mystérieux et beaux ; pont entre l’art et la science. Les facteurs d’instruments ont souvent été des artistes géniaux. Les instruments scientifiques nous invitent à découvrir quelques uns des coups de génie de l’humanité.
Elisabeth HEBERT
Enseignante de mathématiques
Présidente de l’ASSP
Association Science en Seine et Patrimoine