Leçon de
Guillaume Le Vasseur a 35 ans lorsqu’il réalise sa carte aux latitudes croissantes. C’est alors un pilote expérimenté, reconnu pour des compétences en
Sommaire :
1. La carte de Le Vasseur de 1601
Description faite par
Voir la carte sur Gallica
Quelques éléments de la carte de 1601
Le marteloire
![]() Le marteloire construit selon les indications de Le Vasseur |
Particulièrement visible sur cette carte et sur les portulans, le marteloire est un réseau de lignes reliant 16 roses des vents. Le terme de « marteloire » est un terme de navigation qui peut s’entendre, comme une démarche de calcul de routes, ou bien, comme ici, comme un canevas de route. La construction d’un marteloire, selon le folio 85r (BnF) de la Géodrographie : Animation Commentaire pdf |
L’échelle des latitudes croissantes
L’échelle des latitudes croissantes caractérise les cartes réduites appelées ainsi car construites à partir de « réductions ». Cette échelle est essentielle … même si elle passe assez inaperçue au premier regard. Elle peut être obtenue par la géométrie ou par la trigonométrie. La justification d’une telle échelle est délicate et donne lieu à un développement laborieux dans la Géodrographie.
Une échelle croissante. Partie nord de l’échelle verticale après une rotation de 90°
Borne supérieure de l'intervalle | 5° | 10° | 15° | 20° | 25° | 30° | 35° | 40° | 45° | 50° | 55° |
Coefficient de l'intervalle ayant pour borne supérieure... |
1 | 1,01 | 1,03 | 1,05 | 1,08 | 1,13 | 1,19 | 1,26 | 1,36 | 1,48 | 1,64 |
Graduations et méridien origine
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Certes les parallèles de la carte de 1601 sont tracés systématiquement tous les 5° et l’équateur est gradué en degrés, mais la carte de 1601 n’est pas d’un usage aisé quand il s’agit de repérer la longitude. Le premier méridien de Le Vasseur est à 3° à l’ouest de l’île de Fer et à 1/2° à l'est des îles occidentales du Cap Vert. La graduation de l’équateur comporte un discret chiffrage tous les 5°, mené à la fois vers l'est et vers l'ouest, mais il n’y a aucun tracé de méridiens à intervalles réguliers. Le méridien origine de Le Vasseur |
Le choix des couleurs
![]() L’une des sept roses des vents décorées |
Le choix des couleurs retenues pour le marteloire et les roses des vents mais aussi pour les côtes est partiellement codifié. Demeurent des choix purement esthétiques, comme la peinture de certaines îles en couleur or. |
Les échelles de 100 lieues
![]() L’une des cinq échelles de 100 lieues |
Alors que pour une carte commune, une échelle de 100 lieues se doit d’être inscrite sur une seule ligne, elle s’inscrit sur plusieurs lignes pour une carte réduite et prend forme d’un canevas. La carte de Le Vasseur comporte cinq échelles-canevas. Notons que l’usage de 17 lieues ½ par degré rend ces questions de distances délicates. |
L’échelle de déclinaison du Soleil
![]() La déclinaison du Soleil autour du Tropique du Cancer |
Placée entre les tropiques, l’échelle de déclinaison du Soleil entend profiter de la graduation de 23° 26’ N à 23 26’ S pour mettre à disposition du pilote les valeurs de la déclinaison du Soleil au fil des saisons. Une idée originale, bien peu raisonnable pour une carte réduite. |
Le savoir cartographique antérieur
Les planisphères en héritage
La carte de 1601 est une carte aux latitudes croissantes, aussi nommée carte réduite, qui reprend l’idée mise en œuvre par Mercator en 1569. Dans sa Géodrographie, Le Vasseur essaie de justifier les choix faits pour parvenir à cette projection. Il y critique la méthode retenue par son contemporain flamand Plancius, un professeur réputé, qui publie en 1592 une carte commune. La démarche de Mercator mit beaucoup de temps à s’imposer et notre auteur semble être le premier cartographe français à s’en emparer. À la même époque, l’anglais Wright, qui théorise le problème des latitudes croissantes, publie lui aussi une carte réduite imprimée du monde. Quant au canevas de la carte et au tracé des côtes, on retrouve chez G. Le Vasseur la tradition portugaise sur laquelle se sont appuyés les cartographes de l’École dieppoise.
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1. Planisphère de Mercator, 1569, BnF Gallica - Carte réduite
2. Planisphère de Plancius, 1592, Musée de Valencia - Carte commune
3. Planisphère d’E. Wright, vers 1599, wikimédia – Carte réduite
4.
Le carroyage avant 1601
Tableau comparatif des graduations
Les cartes de l’Atlantique
La carte de l’Atlantique Nord est LA carte de référence des marins de l’Europe de l’ouest au XVIe siècle. Les marins portugais et espagnols en réalisent de multiples tout au long du siècle ; c’est d’ailleurs une telle carte qui est incluse dans l’Arte de nauegar de Pedro de Medina de 1545, traité de navigation qui se répand à travers l’Europe pendant un siècle. Si la forme globale des continents qui délimitent l’Atlantique n’évolue plus guère au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, une mise à jour est néanmoins possible au gré des explorations. Cartographier au plus juste l’Atlantique est essentiel pour les dieppois, et il n’est pas surprenant qu'en 1601 G. Le Vasseur exerce ses talents de cartographe et mathématicien sur cette carte. Son collègue havrais Jacques Devaulx, deux décennies auparavant, avait lui aussi produit
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1. Carte de Pierre de Médine, dans L’Art de naviguer, 1573 (comme 1554), BnF, imprimée
2. Carte de l’Atlantique de Jacques Devaulx, 1583, BnF, manuscrite
3. Carte de l’Atlantique du portugais Jorge Reinel, 1550, BnF, manuscrite
4. La carte de l’Atlantique de Guillaume Le Vasseur, 1601, BnF, manuscrite
Un outil :
les cartes marines en transparence
Une étude :
la "largeur" de l'Atlantique
Référence des cartes et documents anciens
La filiation de la carte de 1601
En s’en tenant aux informations données par la BnF, après quelques opérations élémentaires, il semble que les trois cartes dieppoises de l’Atlantique Ouest de Jacques Devaulx (1584), Guillaume Le Vasseur (1601) et Pierre Devaulx (1613) sont possiblement « copies » l’une de l’autre, les écarts de latitude 5° pris à l’équateur étant tous égaux. À moins que la copie ne se fasse par voie indirecte, via une autre carte de l’Atlantique ayant les mêmes mesures... et un modèle pourrait être la carte portugaise de 1550, de Jorge Reinel.
Dans tous les cas, Le Vasseur ne peut faire une simple copie puisqu’il réalise une carte réduite alors que les modèles dieppois de l’époque sont des cartes communes. Il explique dans sa Géodrographie comment il procède : après avoir placé des points aux latitudes et longitudes à peu près connues, il « prend les formes » et adapte par « l’angle de proportion ». Du fait de multiples adaptations, certaines représentations sont instables, l'embouchure du Saint-Laurent en est un exemple.
Étude d'une zone périlleuse
Une expression dieppoise... (mise en parallèle de 3 cartes similaires)
Un peu d'histoire
Prenant pour exemple la zone d’Haïti découverte par Christophe Colomb lors de son premier voyage, notre intention est de suivre l’évolution dans le temps des représentations cartographiques et de percevoir dans quelle dynamique s’inscrit la carte de 1601 de Guillaume Le Vasseur. Pour repérer cette évolution, nous nous appuyons surL'île d'Hispaniola et la colonie de Saint-Domingue (résumé)
Toponymie et représentation des fonds marins
S’inscrivant dans la tradition cartographique, Le Vasseur représente le Banc des Bahamas par une chaussure et, au nord d'Hispaniola, il indique par un losange, une zone périlleuse. Le Vasseur dénomme cette dernière "ouvre loeil". Sa forme inspirera le nom de " Mouchoir carré", origine de "Mouchoir Bank" des cartes de marine actuelles. Zoom sur un fond marin...
![]() Carte de Le Vasseur, 1601. Les fonds marins au nord d'Hispaniola et Cuba Une chaussure et un losange... presque carré |
Les fonds marins au nord d'Hispaniola (synthèse)
Toponymie des fonds marins au nord d'Hispaniola (tableau)
Références des cartes et documents anciens (tableau chronologique)
Relevé des côtes et localisation
La zone de hauts-fonds qui jouxte « Ouvre loeil » est périlleuse et sa cartographie ne fut donc pas aisée. La cartographie de l’île d'Hispaniola fut elle aussi longtemps balbutiante. Les étapes de l’évolution de la cartographie sont particulièrement repérables lorsqu’on s’attarde sur les longitudes et latitudes de la zone que nous étudions, et tout particulièrement sur celle de Puerto Plata, port situé au Sud d'« Ouvre loeil ». Alors que des cartographes, tel Le Vasseur, vantent l’usage des longitudes et latitudes pour construire les cartes, il est intéressant de suivre la mise en œuvre de cette démarche dans cette zone.
Puerto Plata et les cartes d'Hispaniola (synthèse)
Catalogue de cartes d'Hispaniola (reproductions par dates)
Évolution des coordonnées de Puerto Plata (tableau chronologique)
Références des cartes et documents anciens (tableau chronologique)
2. Les « Cartes marines » de la Géodrographie
![]() Folio 91r de la Géodrographie du manuscrit de la BnF |
![]() Page 188 de la Géodrographie du manuscrit de Plymouth |
![]() Transcription de la Géodrographie, établie par M-P Dupeyré |
Le manuscrit et ses commentaires
La « Géodrographie » de Guillaume Le Vasseur est le pont entre la géographie et l’hydrographie. C’est essentiellement un traité de navigation, mais en lui attribuant ce nom, Le Vasseur pointe l’importance qu’il accorde, pour l’hydrographie, aux globes et aux cartes, objets savants spécifiques de la géographie.
La partie dénommée « Cartes marines » s’emploie à mettre en valeur l’intérêt des cartes réduites au regard des autres types de cartes. C’est là une question de cartographie. Puis elle montre comment il doit être fait usage de ces cartes lorsqu’on navigue. C’est alors une question de navigation.
La transcription de la partie intitulée « Cartes marines » de la « Géodrographie » est présentée en tenant compte de quatre caractéristiques :
1. La transcription suit les règles de transcription des divers écrits de G. Levasseur, essentiellement en ajoutant une ponctuation.
2. En faisant usage de majuscules un plan, fixé par nos soins, accompagne le texte transcrit.
3. Des notes de bas de page permettent des remarques ponctuelles.
4. Des renvois vers divers commentaires illustrent le propos ou apportent un éclairage sur des questions plus globales.
Sommaire de « Cartes marines »
Transcription annotée et commentée
La liste des commentaires de "Cartes marines"
La construction d'une carte selon la Géodrographie
Pilote, cartographe mais aussi enseignant, Guillaume Le Vasseur essaie de rationaliser son propos cartographique en annonçant l’étude de cartes construites par la connaissance de « l’orientation et des latitudes », puis « des latitudes et des intervalles », et enfin « des longitudes et des latitudes ». Nous avons retenu un plan qui passe outre cette classification et insiste sur la nature de l'échelle des latitudes.
Le relevé de la côte
On procède pour établir un relevé de côtes comme en topographie avec deux stations et un instrument pouvant remplir la fonction d’un graphomètre. À ceci près qu’il est important que le Nord géographique soit bien respecté, pour ne pas se heurter à des difficultés que des cartographes ont résolues par l’emploi d'une double échelle (voir autour de Terre-Neuve sur les deux cartes portugaises, le planisphère, la carte de l'Atlantique). La rose double que propose Le Vasseur est un outil, diffusé depuis peu, répondant à cette préoccupation.Cartes communes, aux latitudes régulières
Au tout début du XVIIe siècle, les cartes marines communes ne sont plus établies uniquement en faisant usage des distances et rhumbs de vent ; la latitude vient à jouer un rôle essentiel et parfois émerge une approche de la longitude. Néanmoins, pour qu’il demeure possible de suivre sa route, le premier travail consiste à construire un canevas, que nous nommons comme d’autres auteurs, marteloire.Cartes réduites ou aux latitudes croissantes
La grande difficulté à laquelle s’attaque Le Vasseur est d’expliquer pourquoi l'emploi d'une échelle des latitudes réduites est une démarche satisfaisante. Mercator n’a pas donné de justification à sa méthode, mais Le Vasseur tente, plus ou moins maladroitement de justifier son choix. En l’absence du calcul infinitésimal qui permettra une solution satisfaisante à ce problème, les explications ne peuvent être que partielles, et le Vasseur s’appuie sur ses compétences en Géométrie pour apporter une réponse géométrique. La trigonométrie n’est pas abordée dans la Géodrographie, c’est dans son livre de trigonométrie de 1626 qu’il mentionne la construction par une solution trigonométrique des échelles aux latitudes croissantes.Le pointage des cartes
![]() Le pointage des cartes avec un compas, extrait de Janssonius, 1620 |
Faire usage des cartes marines est un vrai savoir. Guillaume le Vasseur tente dans cette partie de décrire la manipulation des compas à pointes sèches. L’iconographie de cette pratique est particulièrement abondante dans les atlas de l’époque, elle symbolise le caractère scientifique de la navigation. Ces manipulations sont simples pour une carte commune, plus délicates pour une carte réduite puisque la proportion entre la distance réelle et celle de la carte ne cesse de varier. S’ajoute à cette difficulté la question de la correction des routes, à considérer différemment selon que l’on se trouve en petite navigation ou grande navigation. Pendant deux siècles la question des corrections de routes sera omniprésente dans les traités de navigation. Elle est ici émergente et se confronte aux problèmes des longitudes et de la déclinaison magnétique. Notons que la Géodrographie se termine en évoquant l’intérêt que pourrait avoir pour ces corrections les cartes de déclinaison tout juste naissantes. |
Les tables de coordonnées de la Géodrographie
Au milieu de diverses propositions qui cherchent à établir la longitude, Le Vasseur a inséré dans sa Géodrographie un cahier qui propose deux listes de coordonnées. L'une énumère "classiquement" les coordonnées (latitude et longitude) des lieux, l'autre adjoint la variation aux habituels latitude et longitude.La table des 199 lieux
La Table des longitudes et latitudes de plusieurs principaux ports et havres du Monde donne les coordonnées de 199 lieux regroupés en quatre zones Est & Nord, Est & Sud, Ouest & Sud, Ouest & Nord (hormis l’Irlande). L’origine de cette table n’a pas été identifiée... pour cause... c’est très vraisemblablement en s'appuyant sur sa carte de 1601 que Le Vasseur construit cette table.
La carte et la table des 199 lieux
Folios 74 & 75 (BnF)
Les coordonnées aux bornes de l'Atlantique (tableau)
Exploration de 3 tables antérieures
La table de Stevin
La liste du folio 79v de la Géodrographie (BnF) est intitulée Déclinaison d’aymant, latitude et longitude des lieux qui en suivent // Selon Stevin. Elle donne les coordonnées de 43 lieux et est la copie d’une liste établie par Stevin en 1599.
Commentaire de la Table de Stevin
Tableau pour l'étude la table de Stevin
Folio 79v (BnF)
Table de Stevin ed. français
Références des cartes et documents anciens